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QUELQUES POÈTES

l’emporta vite sur la poésie, et le poète en lui fut supplanté par le disert négociateur des conclaves et par l’orateur capable de soutenir, sept jours entiers, des conférences contradictoires avec les protestants.

Pour son second en poésie, Desportes reconnaissait lui-même le prêtre Jean Bertaut, qui était un peu plus jeune que lui, mais légèrement plus âgé que du Perron. Avec un sérieux qui n’excluait pas la fiction ni le sentiment, Bertaut composait des « Discours » en vers suivis, à savoir de petits poèmes épiques de quatre à cinq cents vers, quelquefois plus, sur les principales actions royales, et sa coutume est de s’exprimer en des périodes un peu gauches, qui ne manquent ni de précision, ni de vie. Il parle ainsi de la mise en bière d’Henri III :

Hélas, il me souvient que, quand son pâle corps
fut mis à reposer en la couche des morts,
j’entrai dedans la chambre où le plomb qui l’enserre
gisait sans nulle pompe, étendu contre terre,
pendant que l’artisan, à cet œuvre empêché,
de maint ais résonnant, l’un à l’autre attaché,
formait la triste chambre où la fatale marque
des fourriers de la mort logeait ce grand monarque.
Et lors ramentevant [repensant] que celui dont les os
dormaient entre les vers dedans ce plomb enclos,
naguère était au monde et mon Prince et mon maître,
celui dont tout mon heur se promettait de naître,
et de qui le trépas me venait de ravir
l’espoir de tout le bien qu’à le suivre et servir
j’avais pu mériter d’un cœur si débonnaire, —
je vis perdre à mes sens leur usage ordinaire,
d’un tel coup de douleur dedans l’âme frappé
par le triste penser qui m’avait occupé,