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Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/88

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QUELQUES POÈTES

boutade, un peu dure. Le déjeuner se fit dans un profond silence : sitôt terminé, les convives se séparèrent. Desportes n’en continua pas moins à vivre paisiblement les derniers mois de son existence ; mais Régnier, dans la fougue de sa jeunesse, alla rimer contre l’impudent sa IXe satire, et Malherbe s’en fut dire, à qui voulait l’entendre, que l’on ferait des fautes de Desportes un livre plus gros que ses poésies ; il commença lui-même ce livre, et annota, avec une prodigieuse constance d’impatience, la Diane et la Cléonice, criblant les marges de « Bourre, Superflu, Ridicule, Cheville, Chevillissime, etc., etc… » Il le fit avec cette opiniâtreté que l’on apporte à insulter les dieux que l’on a jadis adorés.

Malherbe se brouillant avec Desportes, c’était là un événement littéraire plein de signification, c’était l’aimable poésie de Cour des Valois brusquement supplantée par la fermeté classique des Bourbons : Malherbe fondait une école littéraire, tout comme Henri IV une dynastie, et cela à côté du roi et grâce à lui.

En arrivant à Paris, le législateur n’apportait nullement dans son bagage un plan d’ensemble ni un code bien lié, mais uniquement une « impression » très vive, plus ou moins inconsciente, touchant la poésie de ses prédécesseurs : à savoir que, si elle se montrait toujours inspirée des anciens ou des étrangers et quelquefois sublime, trop souvent elle était languissante et obscure. En un mot, elle n’était point vraiment française.