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INTRODUCTION.

Pléiade avait été surtout un divertissement d’ordre supérieur réservé aux doctes et aux délicats. Mais à l’époque où d’Aubigné commence ses Tragiques (1577), près de trente années après les débuts de Ronsard et de ses amis, les circonstances sont devenues trop graves ; et, dans le déchaînement des passions religieuses et politiques qui ensanglantent la France, les esprits n’ont plus assez de liberté pour goûter les pures jouissances de l’art. Manifestement, l’intérêt est ailleurs, et si elle veut vivre encore, la poésie doit changer de caractère et se jeter, elle aussi, dans la bataille. La poésie de cour, forme dégénérée de la poésie aimable et gracieuse de la Pléiade, s’étiole et se meurt dans l’indifférence[1]. Ses derniers représentants, Bertaut et Du Perron, abandonnent peu à peu la poésie légère et se résignent à ne plus chanter que les grands événements du temps. Les poètes de la nouvelle génération, Du Bartas du côté des protestants, Guy le Fèvre de la Boderie et Vauquelin de la Fresnaye du côté des catholiques, condamnent avec force la frivolité de la poésie païenne et courtisanesque, et Henri III lui-même, si nous en croyons d’Aubigné (I, 459, Lettres), la prend en dégoût. Que sera donc la nouvelle poésie ?

Précisément le contraire de celle qui l’a précédée. Elle se proposera d’enseigner et cherchera, avant l’agrément de l’esprit, le profit de l’âme. Elle aura donc tout d’abord un caractère moral et religieux. Ce caractère, qui se marque déjà dans les Discours de Ronsard, devient dominant dans l’Encyclie de Guy le Fèvre, dans les Quatrains de Pibrac, dans les Satires de Vauquelin. Mais c’est le protestant Du Bartas qui dans sa Semaine (1579) affirme avec le succès le plus éclatant les tendances nouvelles : poète religieux et didactique, il répudie l’inspiration païenne, recommande la chasteté de la pensée et de l’expression et adopte un ton de prédication grave[2]. Mais à côté de ce courant moral et religieux s’en dessine un autre, qui prend bientôt une violence extrême : le courant polémique et satirique.

  1. Cf. G. Allais : Malherbe et la poésie française à la fin du xvie siècle (1585-1600). E. Thorin, 1891, in-8o.
  2. Cf. G. Pellissier : La Vie et les Œuvres de Du Bartas. Hachette, 1882, in-8o.