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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/60

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agrippa d’aubigné

115Leur conflict se r’allume et fait si furieux [1]
Que d’un gauche malheur ils se crevent les yeux. [2]
Cette femme esploree en sa douleur plus forte
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Elle void les mutins tous deschirez, sanglans,
120Qui, ainsi que du cœur, des mains se vont cerchans. [3]
Quand, pressant à son sein d’un amour maternelle
Celui qui a le droit et la juste querelle.
Elle veut le sauver, l’autre qui n’est pas las
Viole en poursuivant l’asyle de ses bras :
125Adonc se perd le laict, le suc de sa poictrine ;
Puis, aux derniers abois de sa proche ruine.
Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté :
Or vivez de venin, sanglante geniture,
130Je n’ai plus que du sang pour vostre nourriture. »
Quand esperdu je voi les honteuses pitiez [4]
Et d’un corps divisé les funebres moitiez.
Quand je voi s’apprester la tragedie horrible [5]



131. Quand languissant A.||132. Du corps divisé T.

  1. 115. Fait si furieux : Se redouble et se fait si furieux. Cf. IV, 100, Princes, une omission analogue de se :
    Les uns, mignons muguets, se parent et font braves
    De clincant et d’or traict....
  2. 116. Gauche malheur. Cf. III, 227, Poés. div. ; et IV, 338. Sonnets épigr. :
    Des monstres avortez, bastards de la Nature,
    Nos peres presagoient quelque gauche malheur.
  3. 120. Cerchans. Sur cette forme qui est la seule usitée en vieux fr., et qu’Oudin enregistre encore en 1642, cf. Thurot, II, 213.
  4. 131. Honteuses pitiez, spectacles qui excitent une pitié mêlée de honte.
  5. 133. Tragedie. D’Aubigné oublie en ce moment les vers du Printemps où il se vante d’avoir été acteur dans cette « tragédie », III, 139, Print. :
    J’ay aidé, quoy que je die,
    A jouer la tragedie
    Des François par eux deffaitz ;
    Page, soldat, homme d’armes
    J’ay tousjours porté les armes
    Jusqu’à la septiesme paix.