Or attendant le temps que le ciel se retire[1]
Ou que le Dieu du Ciel destourne ailleurs son ire
Pour vous faire gouster de ses douceurs apres,
Cachez-vous sous ma robbe en mes noires forests ;
Et, au fond du malheur, que chacun de vous entre,[2]
Par deux fois mes enfans, dans l’obscur de mon ventre.
Les faineants ingrats font brusler vos labeurs,
Vos seins sentent la faim et vos fronts les sueurs :
Je mets de la douceur aux ameres racines,
Car elles vous seront viande et medecines ;[3]
Et je retirerai mes benedictions
De ceux qui vont sucçans le sang des nations :
Tout pour eux soit amer, qu’ils sortent exécrables
Du lict sans reposer, allouvis de leurs tables ! »[4]
Car pour monstrer comment en la destruction
L’homme n’est plus un homme, il prend refection[5]
Des herbes, de charongne et viandes non-prestes,
Ravissant les repas apprestez pour les bestes ;
304. Vos seins sentent la fin A. — Vos sens sentent la faim B. || 313. Des charongnes, des viandes T.
- ↑ 297. Ce vers est expliqué par les v. 293 et 298. Cf. un emploi analogue du verbe se retirer dans Marot (cité par Littré) : « L’orage retiré, chacun joye demeine. » Voir aussi Baïf, éd. Marty-L., V, 28 :
Grand ennemi veine qui veine l’ire.
L’ire du bon tost se retire. - ↑ 301. Au fond du malheur, vous qui êtes dans le plus profond malheur.
- ↑ 306. Viande. On sait que ce mot garde encore aux seizième et dix-septième siècles son sens étymologique (vivenda) de nourriture en général.
- ↑ 310. Allouvis, affamés comme des loups. Cf. v. 353, 466 et aussi v. 617 (Variantes). Ce mot vieillissait. Au dix-septième siècle, il se disait encore
" des enfans nouveaus-nez et qu’on ne peut jamais rassasier. » Richelet. - ↑ 312. Ce passage est encore imité de Lucain, Ph., VI, 110 :
Cernit miserabile vulgus
In pecuduin cecidisso cibos et carpere dumos
Et foliis spoliare nemus letumque minantes
Vellere ab ignotis dubias radicibus herbas :
Quae mollire queunt flamma, quae frangere morsu
Quaeque per abrasas utero demittere fauces
Plurimaque humanis ante hoc incognita mensis
Diripiens miles saturum tamen obsidet hostem.
G.