[1]
Bonne, si on la peut amollir et manger ;
Le conseil de la faim apprend aux dents par force
A piller des forests et la robbe et l'escorce.
La terre sans façon a honte de se voir,[2]
Cerche encore des mains et n’en peut plus avoir.
Tout logis est exil : les villages champestres,[3]
Sans portes et planchers, sans meubles et fenestres,
Font une mine affreuse, ainsi que le corps mort
Monstre, en monstrant les os, que quelqu’un lui fait tort.[4]
Les loups et les renards et les bestes sauvages
Tienent place d’humains, possèdent les villages,
Si bien qu’en mesme lieu où en paix on eut soin
De reserrer le pain, on y cueille le foin.
Si le rusticque peut desrobber à soi-mesme[5]
Quelque grain recelé par une peine extrême,
Espérant sans espoir la fin de ses mal-heurs,
Lors on peut voir couppler troupe de laboureurs
Et d’un soc attaché faire place en la terre
Pour y semer le bled, le soustien de la guerre ;
322. Sont portes et planchers, sans portes et fenestres T.
- ↑ 815. Sans danger, sans hésitation. Sens fréquent dans la vieille langue. Dans le Roman de la Rose, Dangier est la personnification de la Pudeur, qui hésite à céder. « Bonne honte sort de danger » dit un vieux proverbe rapporté par Baïf dans ses Mimes. «Sans danger on ne vient jamais au-dessus du danger, » dit un autre proverbe de l'époque, jouant sur le double sens du mot. (Exemples cités par Littré.)
- ↑ 819. Nouvelle imitation de Lucain, Ph., I, 28 :
Horrida quod dumis multosque inarata per annos
Hesperia est, desuntqtie manus poscentibus arvis. - ↑ 321. Est exil, présente la triste apparence d’un lieu d’exil. Pour cette extension de sens, cf. v. 131, pitiez signifiant spectacles dignes de pitié, V. 303, labeurs signifiant produits de vos labeurs.
- ↑ 324. Monstre en monstrant. D’Aubigné ne cherche pas à éviter ces répétitions dans une même phrase de deux verbes à un mode différent, le second étant généralement au participe. Cf. v. 222 ; IV, 82, Princes : « trouvera tant de honte et d’ire en se trouvant… »
- ↑ 329. Rusticque. Plus haut, v. 257, d’Aubigné écrit ce mot Rustic. Cf. v. 198. Sur ces variations dans l’orthographe des adjectifs dérivés des adjectifs latins en icus, cf. Thurot, I, 187.