Qui deffaict le cimois : cette bouche affamée,
Triste, soubs-rit aux tours de la main bien-aimee.
Cette main s’employoit pour la vie autres-fois ;
Maintenant à la mort elle employe ses doits,[1]
La mort qui d’un costé se présente, effroyable,
La faim de l’autre bout, bourrelle impitoyable.
La mère ayant long-temps combatu dans son cœur
Le feu de la pitié, de la faim la fureur,
Convoite dans son sein la créature aimée[2]
Et dict à son enfant (moins mère qu’affamée) :
« Rends, misérable, rends le corps que je t’ay faict ;
Ton sang retournera où tu as pris le laict ;
Au sein qui t’allaictoit r’entre contre nature :
Ce sein qui t’a nourri sera ta sépulture. »
La main tremble en tirant le funeste couteau,
Quand, pour sacrifier de son ventre l’agneau,
Des poulces ell’ estreind la gorge, qui gazouïlle
Quelques mots sans accents, croyant qu’on la chatouïlle.
Sur l’effroyable coup le cœur se refroidit.[3]
Deux fois le fer eschappe à la main qui roidit.
Tout est troublé, confus, en l’ame qui se trouve
N’avoir plus rien de mère et avoir tout de louve.
De sa lèvre ternie il sort des feux ardens,
Elle n’appreste plus les lèvres, mais les dents ;
Et des baizers changés en avides morsures
La faim acheve tout de trois rudes blessures :
Elle ouvre le passage au sang et aux esprits.[4]
513. Les cimois AT. || 514. Autour de la main T. || 536. Elle n’appreste plus la bouche A.
- ↑ 516. A la mort, pour la mort, comme le montre la symétrie avec le vers précédent.
- ↑ 521. Convoite dans…. Rapprocher de ce vers les v. 525 et 526 qui en
précisent le sens. - ↑ 531. Sur. Ce mot marque non un rapport de causalité (comme ferait sous), mais un rapport de temps, de simultanéité. Cf. partir sur l’heure ; sur le champ ; sur ces entrefaites ; sur le matin.
- ↑ 539. Esprits. Voir la théorie de d’Aubigné sur les esprits vitaux dans la Création, III, et notamment p. 408,414,439.