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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/83

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MISERES


540L’enfant change visage et ses ris en ses cris ;[1]
Il pousse trois fumeaux, et n’ayant plus de mère,[2]
Mourant, cerche des yeux les yeux de sa meurtrière.
    On dit que le manger de Thyeste pareil
Fit noircir et fuïr et cacher le Soleil.[3]
545Suivrons-nous plus avant ? voulons-nous voir le reste
De ce banquet d’horreur, pire que de Thyeste ?
Les membres de ce fils sont conus aux repas,
Et l’autre estant deceu ne les conoissoit pas.
Qui pourra voir le plat où la beste farouche
550Prend les petits doigts cuits, les jouets de sa bouche ;
Les yeux esteints, ausquels il y a peu de jours
Que de regards mignons s’embrazoyent ses amours,
Le sein douïllet, les bras qui son col plus n’accollent,
Morceaux qui saoulent peu et qui beaucoup désolent ?[4]


552. De regards mignons embrazoient B.

  1. 540. Change visage. Cf. Vaugelas II, 454 : « M. de Malherbe dit, Vous tourniez le visage vers la Provence. Il ne faut point d’article devant visage et il faut dire, Vous tourniez visage vers la Provence. » Sur la suppression, beaucoup plus fréquente au seizième siècle qu’aujourd’hui, de l’article dans certaines locutions, cf. Darm. et Hatzf., p. 254. — Ses ris en ses cris. Cf. v. 1368 ; et IV, 121, Ch. dor. :
                             La troupe qui la void change en plainte ses ris,
                             Elle change leurs chants en l’horreur de ses cris.
  2. 541. Fumeanx, haleine, souffle, dernier soupir. Cf. les exemples
    recueillis par M. Legouëz, et notamment III, 279, Poés. relig. :
                            Souspirer en passant le pas
                            Par les trois fumeaux du trespas
                            C’est plaindre comme il faut se plaindre.
    Godefroy ne cite, en dehors de d’Aubigné, qu’un exemple de ce mot (Lég. du muet, S. Barthomé, bibl. La Rochelle.) D’Aubigné emploie encore dans le même sens le mot confumeau (Legouëz).
  3. 544. Fuïr. Vaugelas, II, 178, veut encore que ce verbe soit dissyllabique au prétérit et à l’infinitif. Mais Patru, Thomas Corneille et l’Académie déclarent qu’il est toujours d’une syllabe. Cf. Thurot, I, 550.
  4. 554. Saoulent. Des grammairiens du temps notent la prononciation saûler (Thurot, I,506). Il est possible que d’Aubigné ait voulu faire un jeu de mots sur saoulent et désolent. Il est coutumier du fait. Cf. IV, 153. Feux :
                            Poursuivons l’Angleterre, où les vertus estranges
                            La font nommer païs, non d’Angles, mais des Anges.
    IV, 183, Feux : « Mais l’aise leur fut moins douce que la fornaise. » Voir