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AGRIPPA D'AUBIGNÉ


590On les met en la place, afin que ce corps puisse
Rencontrer son meurtrier ; le meurtrier inconu
Contre qui le corps saigne est coulpable tenu.[1]
    Henri, qui tous les jours vas prodiguant ta vie
Pour remettre le règne, oster la tyrannie,
595Ennemi des Tyrans, ressource des vrais Rois,
Quand le sceptre des lis joindra le Navarrois,[2]
Souvien-toi de quel œil, de quelle vigilance[3]

  1. 592. Le corps saigne. Allusion à une vieille croyance : les plaies du mort se rouvrent et le sang coule lorsque le cadavre est mis en présence du meurtrier. Voir le Chevalier au Lion de Chrestien de Troyes, éd. W. Foerster, v. 1179. Yvain est dans la salle du château d’un seigneur qu’il vient de tuer, couché sur un lit ; on le cherche en vain, car un anneau merveilleux le rend invisible. Passe le cortège funèbre :
                            Et la processions passa ;
                            Mes anmi la sale amassa
                            Antor la biere uns granz toauz :
                            Que li sans chauz, clers et vermauz ?
                            Rissi au mort parmi la plaie.
                            Et ce fu provance veraie
                            Qu'aucor estoit leanz sanz faille
                            Cil qui feite avoit la bataille
                            Et qui l’avoit mort et conquis.
                            Lors ont par tôt cerchié et quis
                            Et reverchié et remüé
                            Tant que tuit furent tressüé
                            Et de l’angoisse et del tooil
                            Qu’il orent por le sanc vermoil
                            Qui devant aus fu degotez…
                            Et les janz plus et plus desvoient
                            Por les plaies qui escrevoient ;
                            Si se mervoillent por quoi saingnent,
                            Ne ne sevent a quoi s’en praingnent.
                            Et dist chascuns et cist et cist :
                            « Antre nos est cil qui l’ocist,
                            Ne nos ne le veomes mie ;
                            Ce est mervoille et deablie. »
  2. 596. Le sceptre des lis. Comme Henri de Navarre n’est devenu l’héritier désigné du trône de France qu’à partir de la mort de Monsieur (10 juin 1584), il est certain que ce passage n’a été composé que postérieurement à cette date. Il faut vraisemblablement voir là une de ces apophéties ou prophéties après coup dont d’Aubigné parle dans son Avis aux lecteurs, IV, 8 : « Il y a peu d’artifice en la disposition : il y paroist seulement quelques episodies comme prédictions de choses avenuës avant l’œuvre clos, que l’autheur appeloit en riant ses apopheties. »
  3. 597. Souvien-toi. sur l’absence de l's à l’impératif, cf. Darm. et Hatzf., p. 238. Voir v. 957.