Tu vois et remédie aux mal-heurs de la France ;[1]
Souvien-toy quelque jour combien sont ignorans
Ceux qui pour estre Rois veulent estre Tyrans.
Ces Tyrans sont des loups, car le loup, quand il entre[2]
Dans le parc des brebis, ne succe de leur ventre
Que le sang par un trou, et quitte tout le corps,[3]
Laissant bien le troupeau, mais un troupeau de morts.
Nos villes sont charongne, et nos plus chères vies,[4]
Et le suc et la force on ont esté ravies.
Les païs ruinez sont membres retranchez
Dont le corps séchera, puis qu’ils sont asséchez.[5]
France, puis que tu perds tes membres en la sorte,
Appreste le suaire et te conte pour morte :
Ton poulx foible, inégal, le trouble de ton œil
Ne demande plus rien qu’un funeste cercueil.[6]
Que si tu vis encor, c’est la mourante vie
Que le malade vit en extrême agonie,
Lors que les sens sont morts, quand il est au rumeau,[7]
598. Tu cours remédier T. || 605. Sont charongnes T.
- ↑ 598. Tu remédie. Sur cette licence orthographique et métrique, cf. Tobler, Le vers français, p. 76. Voir v. 758, 813, 830, 833, 1257, 1292.
- ↑ 601. Loups. Cf. IV, 86, Princes : « Le bon [roi] chasse les loups, l’autre est loup du troupeau. »
- ↑ 603. Quitte tout le corps. Cf. III, 364, Créat. : « Je quite cest honneur au docte Mathiolle. » — Il y a dans cette phrase comme une transposition des constructions logiques. On attendrait plutôt, semble-t-il : il suce tout le sang et ne quitte que le corps.
- ↑ 605. Charongne. Sur la prononciation et les diverses orthographes de ce root et autres analogues, cf. Thurot, II, 526. — Vies, suc, force. Cf. note sur le v. 144.
- ↑ 608. Dont, à la suite de quoi. Cf. v. 1215.
- ↑ 612. Demande. Sur cette faculté de ne faire accorder le verbe qu’avec l'un de plusieurs sujets, cf. Darm. et Hatzf., p. 273. Voir v. 1260.
- ↑ 615. Rumeau. Cf. Hist. univ., VII, 100 : « Une femme, abandonnée de médecins et jugée de tous pour estre au rumeau, se lève. » M. Lalanne (Brantôme, X, 355, Lexique) explique ce mot par râle en le rapprochant du verbe roumer, « respirer avec oppression et bruit, » donné dans le Gloss. du centre de la France, de Jaubert. Il cite de Brantôme l’exemple suivant : « J'ay ouy conter d’elle [de Marguerite d’Angoulême] qu’une de ses filles de chambre… estant près de la mort, la voulut voir mourir ; et tant qu’elle fut aux abois et au rommeau de la mort, elle ne bougea d’auprès d’elle. » L’expression : être au rumeau, que ne connaît aucun lexicographe, corres-