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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/90

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AGRIPPA D'AUBIGNÉ


650Sur le sueil du tombeau les vieillards ont ce vice :
Quand le malade amasse et couverte et linceux[1]
Et tire tout à soi, c’est un signe piteux.
   On void périr en toi la chaleur naturelle,
Le feu de charité, tout’ amour mutuelle ;
655Les déluges espais achèvent de noyer[2]
Tous chauds désirs au cœur qui estoit leur fouïer :
Mais ce fouïer du cœur a perdu l’avantage
Du feu et des esprits qui faisoyent le courage.
   Ici marquent, honteux, les généreux François[3]
660Que leurs armes estoyent légères autresfois,
Et que, quand l’estranger esjamboit leurs barrières,[4]
Ils ne daignoyent s’enclorre en leurs villes frontières :
L’ennemi, aussi tost comm’ entré combattu,
Faisoit à la campagne essai de leur vertu.


650. Quand nature deffaut, les vieillards T. || 657. A perdu avantage A. || 658. Le feu et les esprits A. || 659-662. Dans le manuscrit, ce passage a la forme d’une apostrophe:

                               Icy marquez honteux, dégénérez François,
                               Que vos armes estoient légères autrefois,
                               Et que, quand l'estranger esjamboit voz barrières
                               Vos ayeux desdaignoient forts et villes frontières.

  1. 651. Linceux. Ce mot pour d’Aubigné comme au moyen âge et conformément à l’étymologie, lintoleum, signifie simplement drap de toile. C’est le contexte seul qui détermine son emploi, soit au sens de drap de lit soit au sens de drap pour ensevelir. Cf. Hist. univ. II, 285 ; et III, 252, Poés. div. :
                            Deus cœurs si bien unis veulent un pareil sort,
                            Aprestez les linceuls du lict ou du suaire.
                            Il fault vivre en sa vie ou mourir en sa mort !
  2. 655. Déluges espais. Il est possible que d’Aubigné songe ici à la tempête qui suivit la mort du cardinal de Lorraine, et à laquelle il fait de fréquentes allusions. Cf. v. 1001 sqq. ; et IV, 270, Veng. :
                                  L’air noirci de Démons ainsy que de nuages
                                  Creva des quatre parts d’impétueux orages…
                                  Les déluges espais des larmes de la France
                                  Rendirent l’air tout eau de leur noire abondance.
    — Sur le mélange intime des termes de la comparaison, voir note sur le v. 144.
  3. 659. Marquent, subjonctif. Cf. Hist. Univ., II, 279 : « Marque le lecteur un traict qui n’a point d’exemple en l’antiquité… » Sur la suppression de que devant le subjonctif, cf. Darm. et Hatzf., p. 265.
  4. 661. Esjamboit. Cf. II, 474, Fæn. : « En esjambant par dessus une treille, le compagnon tombe entre des branches. »