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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/91

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MISERES


665Ores, pour tesmoigner la caducque veillesse
Qui nous oste l'ardeur et nous croist la finesse,[1]
Nos cœurs froids ont besoin de se voir emmurez,
Et, comme les vieillards, revestus et fourrez
De rempars, bastions, fossez et contre-mines,
670Fosses-brais, parapets, chemises et courtines ;[2]
Nos excellens desseins ne sont que garnisons[3]
Que nos pères fuyoyent comm' on fuit les prisons.
Quand le corps gelé veut mettre robbe sur robbe,
Dites que la chaleur s’enfuit et se desrobe.
675L’Ange de Dieu vengeur, une fois commandé,
Ne se destourne pas pour estre appréhendé :[4]
Car ces symptômes vrais, qui ne sont que présages,
Se sentent en nos cœurs aussi tost qu’aux visages.
   Voila le front hideux de nos calamitez,[5]
680La vengeance des Cieux justement despitez.
Comme par force l’œil se destourne à ces choses.
Retournons les esprits pour en toucher les causes.
   France, tu t’eslevois orgueilleuse au milieu
Des autres nations ; et ton père et ton Dieu


682. Destournons A.

  1. 666. Croist. Cet emploi de croitre au sens actif, est condamné par Vaugelas, I, 436, qui parait cependant le permettre, à titre de licence, aux poètes. Cf. III, Ul, Print. :
                            O miserables pleurs
                            Qui croissez tous les jours
                            L’amour et les douleurs !
  2. 670. Fosses-brais. Seconde enceinte dont le terre-plein joint l’escarpe de la première (Legouëz, Lexiq. de d’Aub.). Cf. Hist. univ., II, 311 : « Ils gaignèrent la muraille seiche qui servoit de fausse braye à la forteresse. » — Chemises. Mur dont un rempart ou un bastion est revêtu pour soutenir les terres (Littré). — Courtines. Front de la muraille d’une place entre deux bastions (Littré).
  3. 671. Excellens = ici, les meilleurs.
  4. 676. Pour estre appréhendé. Il ne suffit pas d'appréhender, de redouter l’Ange vengeur, pour qu’il se détourne. Pour appréhendé qu’il soit… Cf. la même tournure, v. 795-96.
  5. 679-680. Ces deux vers sont reproduits presque textuellement un peu plus loin, v. 1203-1204. Voir aussi IV, 202, Fers : « Tel est l’hideux pourtraict de la guerre civille. » Virgile, Géorg., I, 566 : « Tam multae scclerum facies. »