Page:Audebrand - Derniers jours de la Bohème, Calmann-Lévy.djvu/91

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cravaté, fort poli, qu’on disait être un jeune médecin. À en croire ceux qui se disaient bien renseignés, ce docteur était servilement gagé par l’établissement pour en vanter les produits au point de vue de l’hygiène et c’était, en effet, une tâche qu’il accomplissait en homme habile.

« Ah ! messieurs, on a calomnié la bière, disait-il. La bière d’au-delà du Rhin, elle a toutes les vertus. Elle est digestive, diurétique au suprême degré. Elle nourrit, solidifie et embellit. La bière du roi Cambrinus ! Je n’avancerai rien de trop, si j’affirme que c’est une panacée. »

Pour motiver ce boniment anti-patriotique, il montrait du doigt la famille française dont la décadence physique n’est que trop visible. Il indiquait la toise à laquelle on mesure les conscrits s’abaissant chaque année. Y a-t-il encore une jeunesse ? Oui, mais voyez donc ce que sont nos jeunes gens ? Vieillis avant l’âge, pâles, poussifs, d’une calvitie précoce. Nulle énergie morale. Au même moment, Nestor Roqueplan, un maître railleur, s’en prenant aux derniers rejetons de la noblesse et aux fils des millionnaires, leur donnait le surnom de petits crevés, qui leur est resté. Notre race s’en allait donc, et pourquoi ? À cause du vin, de l’abus du vin, de l’alcoolisme, un fléau qu’on évite quand on boit de la bière.

Il s’arrêtait volontiers à chaque table pour