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Bedkandir était venu trop jeune dans cette solitude pour qu’aucun souvenir eût pu le suivre. Son père l’y avait amené. Son père, homme fantasque, voulut étudier les mœurs, les lois et les coutumes de la terre ; il voyagea. Après qu’il eut rencontré partout ce mépris superbe des puissans pour le peuple, et ce mépris poignant du peuple pour les puissans ; cette incurable crédulité des nations qui prennent pour de la liberté le court passage d’un joug à un autre ; ces lourds amas d’impôts, perçus tantôt au nom d’un seul, tantôt au nom de tous ; quand il eut bien vu toutes ces misères, un rire convulsif pensa l’étouffer. Sans doute, le monde est assez plein d’infirmités, les hommes ont assez d’injustices, leur caractère assez d’importunes inégalités pour lasser la patience du plus indulgent ; sans doute, ce grand bruit de la vie sociale, ce choc des passions, ces flots émus d’orgueil qui crèvent et ne laissent que de l’écume, méritent bien qu’on s’en plaigne ou qu’on s’en moque ; mais jamais on ne prit une résolution pareille à celle du père de Bedkandir.