Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/101

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Je voulus la détromper :

— Non, Reine, il n’y a pas de prés dans le ciel.

Elle s’est fâchée :

— Si, il y en a, je les vois bien, moi.

Je n’ose plus la contredire, car certains soirs, à travers les étoiles clairsemées, la voûte d’un bleu léger s’étend à mes yeux comme un immense champ de lin.


Mon amour grandit. Malgré ma certitude de le vaincre je m’en effraye souvent.

Dans cette lutte de tous les instants, je garde cependant un caractère égal. Seuls mes goûts sont changés. J’ai toujours aimé les fleurs de couleur tendre, et voici que je leur préfère celles de teintes violentes. Les roses rouges très épanouies m’attirent et je ne sais plus les respirer sans les déchirer un peu avec les dents. Parfois il me semble que mon corps est habité par une étrangère. Cette étrangère n’aime pas les enfants et je m’en éloigne, elle n’aime pas les fleurs simples et je les dédaigne, elle n’aime pas le sommeil paisible, et la nuit je rôde comme un fantôme autour de la maison.

Le dimanche l’étrangère n’est jamais là, et je suis en pleine possession de mon corps. Je cueille les fleurettes et je respire doucement les roses, je joue avec les enfants sous les grands chênes. Et au retour de la promenade, le cœur attentif et léger, je marche en m’appuyant au bras de Valère Chatellier.

À l’heure de la séparation, pendant l’échange du baiser fraternel, je sens mon cœur redevenir