Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/104

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pour moi une musique étrange qui éclairait ma pensée et mettait mon cœur à l’aise.

Trois années auparavant oncle meunier et moi avions ramassé le pauvre homme à moitié mort de froid et de faim, sur la route. Réchauffé et rassasié d’une bonne soupe, il avait refusé le lit que je lui offrais, et j’avais dû le conduire à la grange et lui laisser faire son trou au milieu du foin ainsi qu’il l’exigeait.

Le lendemain, inquiets de sa faiblesse, nous étions retournés vers lui dès le matin. Cette simple intention l’avait touché comme un fait inimaginable. Jamais, au grand jamais, nous avait-il dit, personne n’avait eu pareil souci à son endroit. Et, pris d’une reconnaissance infinie, ne sachant quoi nous offrir en retour il nous avait récité des vers composés la veille dans la neige et le vent glacé.

Les mots disant toute la désolation du paysage d’hiver ne nous apprenaient rien. Nous savions qu’à cette époque de l’année,

Tout était au repos, le vallon, la montagne,
Les longs peupliers gris et les chênes touffus.

Nous savions que, par les temps de neige,

Des bandes d’oiseaux noirs passaient sur la campagne
Et fuyaient en criant vers des lieux inconnus.

Mais ce que nous entendions pour la première fois, c’était la voix extraordinaire du vieux chemineau. Elle s’élevait comme d’un instrument vibrant de plusieurs cordes à la fois, et quoique nous fussions tout près de l’homme, sa voix nous