Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/158

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petite Reine, et vous oncle meunier dont la tendresse intelligente m’a aidé à vaincre la misère, jamais, de vous tous ne m’est venue la moindre peine, et, cependant, ce soir je vous renie pour celui qui vient de me repousser durement et qui peut rester, sans pensée, ni rêve, étendu tout un jour comme une bête trop gavée.

Les heures passent, une cloche les compte à petits sons grêles et d’autres cloches les répètent. Aux douze coups de minuit, là-bas, sur la longue bande de terre, le palais s’éteint d’un seul coup, comme il s’est allumé, et plus rien n’est visible à sa place.

En bas, sous la fenêtre, un trottinement attire mon attention. On dirait le pas d’un petit animal craintif. C’est la Crapaude qui rôde autour de son enclos ; elle soulève des pierres et les replace sans bruit, et chaque fois elle a l’air d’éteindre une lampe. C’est peut-être elle qui vient de souffler sur le palais brillant. Elle disparait elle-même sans que je l’aie vue rentrer dans sa cabane.

Tout semble dormir maintenant autour de moi. Du grand jardin monte un bruit semblable à une forte respiration. Je cherche d’où cela peut venir, et je vois que la lune a couché à terre l’ombre des orangers, des citronniers et des oliviers. C’est sans doute ainsi que les arbres se reposent, et c’est eux que j’entends respirer. J’écoute ce souffle court qui revient à intervalles réguliers…

— Oui, c’est le jardin qui dort, il dort profondément, la lune s’attarde au-dessus pour le contempler et la mer se tait pour ne pas le réveiller.

Le jour parait enfin, ramenant avec lui ma part