Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/168

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dans sa chambre, et, avec une patience plus grande que la tienne encore, il me faisait faire des chiffres et corrigeait mon orthographe. Et je n’étais pas content. Je me rebiffais contre lui, récriminant sans cesse, sans que jamais un mot désagréable de lui ne me parvint.

Et Firmin, tout vibrant de persuasion, me recommande :

— Sois patiente ! Aie confiance. Un homme comme Valère peut trébucher, il ne peut pas tomber.

Il reprend avec l’accent de gaminerie qui lui est familier :

— Tiens ! dès son retour, dis-lui seulement que tu vas être mère, et tu verras comme tout va changer.


Sur le quai de la gare, tandis que nous attendons le train qui doit emmener Firmin, un autre train arrive d’où descendent les patrons de Valère. Je les indique à Firmin qui a l’espoir d’apercevoir Valère auprès d’eux, mais Valère n’est pas là. Ses patrons m’ont remarqué aussi, et ils s’avancent vers nous comme pour s’assurer que c’est bien moi. Firmin qui les regarde venir me dit entre ses dents :

— J’ai grande envie de leur faire un pied-de-nez.

Il ne fait pas de pied-de-nez, mais il fait face au couple avec une réelle effronterie.

Je ne dois pas leur paraître moins effrontée, car en les regardant je pense :

— Oui, c’est mon frère. C’est mon frère bien aimé, et celui-là, vous ne pourrez pas me le prendre.

Ils passent gênés, et ils se retournent juste au moment où, nous moquant de leur air penaud, nous rions comme deux enfants heureux.