Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/186

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couple était la risée des autres locataires. Qu’importait ! ces deux ivrognes étaient sourds et aveugles aux moqueries et vivaient heureux l’un près de l’autre. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour nous.

Brusquement ma détermination fut prise ; j’allais tout de suite commencer à boire du vin et de l’alcool et, ma répugnance vaincue, j’irais retrouver Valère qui ne pourrait plus douter de ma grossesse devenue parfaitement visible. Mais comme je me mettais à la recherche d’une bouteille, mon enfant a frappé à la cloison. Il frappait à petits coups répétés comme pour me dire de prendre garde, et aussitôt j’ai revu les gestes stupides et maladroits du vieux ménage, j’ai revu les yeux éteints et comme noyés de Caroline, ces yeux qui ne s’animaient que le samedi soir lorsqu’elle surveillait comme des jumeaux chéris les deux litres de vin qu’elle rapportait dans son panier. J’ai entendu le rire mêlé du mari et de la femme, ce rire sans profondeur ni joie et qui me faisait toujours penser au gargouillis d’eau sale de la buanderie.

De mes deux mains bien appuyées j’ai apaisé l’enfant :

— Cher petit ! C’est toi qui es sage, et tu peux être tranquille, jamais ta mère ne se rendra pareille à ces gens-là.