Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/199

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Les squares la font rire :

— Oh ! Annette, qu’ils sont drôles les jardins de Paris.

On ne sait pas si Clémence regrette le moulin. Mais la place de mannequin qu’elle enviait et qu’elle a trouvée tout de suite ne parait pas lui donner le bonheur qu’elle en attendait. Porter une robe simple à la ville lui semble la plus grande injustice du monde et elle ne cesse de se demander pourquoi elle n’est pas de celles qui portent en tout temps des robes magnifiques. En dehors de la toilette, elle n’aperçoit aucune joie. Et dès que Manine a consenti une grosse dépense pour assurer cette joie, Clémence a un autre désir qui lui apporte les mêmes regrets et les mêmes tourments.

Son amour de la toilette s’étend à sa sœur. À travers la porte de la chambre des deux jeunes filles on entend :

— Reine, il faut demander à maman de t’acheter un autre chapeau.

— Pourquoi en acheter un autre ? Le mien me coiffe bien et il n’est pas fané.

— Espèce de sotte ! il te coiffait bien quand il était à la mode. Maintenant il t’enlaidit. Comment ne le vois-tu pas ?

Clémence n’aime pas non plus que Reine porte des souliers de forme simple où le pied est à l’aise. « C’était bon au moulin, mais ici il faut mettre tes pieds à la forme des souliers ».

Et Reine se laisse martyriser les pieds pour ne pas déplaire à sa sœur. Sa jolie démarche en est toute changée et la souffrance qu’elle endure lui ôte l’envie de courir et de sauter.