Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/204

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je reconnais l’écriture de Valère Chatellier. Sans hâte et presque sans émotion j’ouvre l’enveloppe et je lis :

« S’il te reste pour moi un peu de pitié, Annette, viens à mon secours. Je suis comme une barque sans gouvernail dans la tempête, et depuis des mois je me débats dans l’horreur de moi-même sans parvenir à retrouver la bonne voie. Aujourd’hui j’ai toute ma raison et je souffre. Je souffre sans courage ni dignité, et je t’appelle comme dans une nuit mauvaise, on appelle la douce clarté du matin. Demain je viendrai frapper à ta porte, si elle ne s’ouvre pas pour moi, je retournerai sans doute à ma fange. »

« Valère. »

J’ouvris ma porte à Valère le lendemain et je fus épouvantée du désordre de ses traits. Je crus qu’il était ivre encore et je m’éloignai de lui avec répugnance. Il le vit et resta sur le seuil. Non, il n’était pas ivre ; il gardait seulement cet air abject et sournois des ivrognes. Il dit :

— Annette, veux-tu m’aider à redevenir un homme ?

Sa voix aussi changée que ses traits augmenta ma répugnance et je continuai à le regarder sans répondre.

Il eut un geste du désespoir et dit encore :

— Firmin ne m’a pas repoussé, lui.

Au nom de Firmin une tendresse chanta dans mon cœur et je répondis enfin :

— Moi non plus je ne te repousse pas, mais j’ai peine à supporter la vue de l’être dégradé que tu es devenu.