Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/231

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si las qu’il ne songe plus à crier son désir de vivre. Assis sur la chaise basse de Manine, son fils sur un genou et sa fille dans son bras, il ne sait même pas dire sa joie. En a-t-il seulement de la joie ? Et puis, par malchance, les avions allemands passent, crachent et tuent. Firmin s’effraye de notre vie menacée. Il voudrait nous voir retourner au moulin. À Nicole, qui a une peur affreuse des avions meurtriers, il conseille vivement d’aller retrouver Mme Lapierre. Mais il sourit en donnant ce conseil à sa jeune sœur car il sait bien qu’elle supportera tout plutôt que de se séparer de Jean Lapierre. Entre deux bombes qui éclatent dans le voisinage il me souffle à l’oreille : « Que veux-tu ? C’est une Beaubois. »


De Valère nous ne savons toujours rien, et Firmin m’a dit, comme avec un peu d’envie :

« Les disparus laissent au moins l’espoir de les revoir. »

À la fin de sa permission j’ai accompagné Firmin à la gare de l’Est. Il s’est étonné du salut respectueux d’un soldat, puis il s’est moqué : « Ah ! oui ! c’est vrai, je suis un bel officier ». Tout de suite rembruni, il a murmuré : « Et cela peut durer, durer, durer… »

Devant l’espèce de désespérance qui s’étendait sur son visage, j’ai levé un doigt pour rappeler sa confiance en lui-même :

— Souviens-toi Firmin, tu ne dois pas mourir.

L’air distrait, il m’a regardée en répondant :

— Tu crois ?