Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/232

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Dans la petite salle à manger de Manine il fait froid en ce mois de mars 1918. Groupées autour du poêle dans lequel nous brûlons du charbon, plein le creux de la main, ainsi que le dit Nicole, nous tâchons de réchauffer le plus possible les enfants avant de les coucher. Rose qui vient d’endormir sa petite fille, veut maintenant déshabiller son fils :

— Allons Raymond, viens au lit, mon mignon.

Raymond recule et regimbe.

— Non, je ne veux pas aller au lit, parce que tu vas encore me battre pour m’emmener à la cave.

La voix de Rose s’amollit :

— Mon chéri ! viens te coucher ; si les méchants avions passent je t’éveillerai tout doucement, je te le promets :

— Oui, tu dis toujours ça et puis tu me bats tant que tu peux.

Cette fois, le petit Raymond peut avoir confiance dans les dires de sa mère, car nous avons renoncé à la cave. La quantité de vêtements chauds qu’il fallait y transporter ! La descente dans l’escalier obscur avec les petits endormis ou apeurés ! La courageuse Manine devenant d’une faiblesse incroyable à l’annonce des avions et Reine qu’il me fallait porter à moitié sous peine de la voir s’évanouir au milieu des étages ! Et encore l’un des enfants de la voisine n’était-il pas mort d’une pneumonie contractée à la cave ? De plus, une maison ne s’était-elle pas écroulée ensevelissant ceux qui étaient au fond ? Quoique l’on fasse, où que l’on aille, on était quand même en danger.