Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

neau ? Sans doute je l’ignorerai toujours, cependant, je sentais bien que celui-là ne sortirait pas tout de suite de ma pensée. Et sans chercher à dissimuler le rouge qui envahissait mon visage, je levai les yeux sur oncle meunier pour lui dire :

— C’est vrai, il y a cela, mais après tout, on n’est pas obligé de se laisser guider par cela. C’est un ennemi de plus à combattre, voilà tout.

Le regard d’oncle meunier pesa longtemps sur le mien, puis il toucha doucement mes cheveux :

— Ma grande courageuse ! fit-il.

Et comme il paraissait avoir encore quelque chose à dire, je l’en empêchai en me levant et chantant avec Manine :

Magdeleine lui répond :
Ah ! j’y vais pas,
J’aime mieux aller à la danse et au combat
Que d’entendre le sermon qui se dira.

Je ne devais pas tarder à connaître le prétendant à ma main.

Le dimanche suivant, Firmin me prit à part et me dit l’air sérieux :

— J’aurais été bien content de te savoir la femme de Valère Chatellier, mais si tu as choisi ailleurs, tout est bien.

Je restai sans réplique. Ce nom de Valère Chatellier tout à fait inattendu avait fait surgir à mes yeux la haute silhouette du jeune homme. Je revoyais son visage intelligent et triste. J’entendais le son net et grave de sa voix, et je ressentais pour lui cette attirance qui me faisait si souvent accepter son bras dans nos promenades.