Page:Audoux - Douce Lumiere.djvu/149

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Dans les grands yeux, dont le regard est devenu incertain, Mlle Charmes aperçoit l’épouvante de ce départ. Elle quitte sa chaise pour en affirmer avec plus de force la nécessité.

Elle marche dans la pièce, et son pas énergique accompagne ses paroles :

— Il faut partir, Églantine Lumière ! Ceux qui vous ont fait du mal sont plus forts que vous. Ils vous détestent, et, de plus, ils ont peur de vous !

Elle rit soudain, et son rire est inquiétant comme un éclat de colère ; puis cela devient un ricanement lorsqu’elle poursuit :

— Ils sont là toute une famille à l’abri du besoin. Ils ont des terres, des bois, des prés, ils ont du blé plein leur grenier, de la paille et du foin plein leur grange. Ils ont vingt chevaux à l’écurie, cinquante vaches à l’étable et cinq cents moutons dans la bergerie. Pour garder tout cela, ils ont des chiens féroces. Et cependant, voyez-les, ils tremblent à l’idée qu’une jeune alouette, qui ne pense qu’à chanter au plus haut de l’air, pourrait leur prendre quelques grains de mil pour se nourrir !

Elle rit encore, durement, insolemment, comme si elle jetait à la figure de quelqu’un une rancune longtemps dissimulée.