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Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/162

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sai la parole en français, car c’est une langue assez fréquemment connue, du moins par lambeaux, parmi le peuple de ces contrées. Il releva la tête, pointa son doigt vers l’un de ses yeux, tandis que l’autre m’adressait un regard auquel je ne pouvais me méprendre. Sa figure était couverte de sang ; voici ce qui était arrivé : une heure auparavant, comme il s’apprêtait à décocher une flèche contre un raton à la cime d’un arbre, le trait, glissant sur la corde et partant en arrière, était entré avec une telle violence dans son œil droit, que du coup il l’avait perdu pour toujours.

J’avais faim ; je m’informai de ce que l’on pourrait me donner. Quant à un lit, rien de semblable n’existait dans toute la hutte ; en revanche, de larges peaux d’ours non tannées et des cuirs de buffle étaient empilés dans un coin. Je tirai une belle montre de mon sein, en disant à la bonne femme qu’il se faisait tard et que j’étais fatigué. La vue de ce bijou, dont la richesse ne lui avait point échappé, sembla produire sur son esprit un effet vraiment électrique. Elle s’empressa de me répondre qu’il y avait abondance de venaison et un morceau de buffle fumé[1], et que si je voulais écarter les cendres, j’y trouverais un gâteau. Mais ma montre avait vivement frappé son imagination, et il fallut satisfaire sa curiosité en la lui montrant tout de suite. Je tirai la chaîne d’or qui la retenait à mon cou et la lui présentai. Elle resta devant en extase, admira sa

  1. Jerked, fumé ou pressé. C’est une préparation que l’on fait subir à la viande pour l’embarquer.