Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 2.djvu/61

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ils le ravissent. Mais eux, ils sont bien sensibles à ces choses-là ! Que leur importe ! pourvu qu’ils ramassent, ramassent toujours, et qu’après eux il n’en reste pas un seul sur le roc nu ! Des dollars ! des dollars ! Tel est le seul cri de leur cœur sordide ; et ils continuent bravement ce métier si répugnant pour tout homme honnête et qui se connaît quelque autre moyen de gagner sa vie.

Leur barque à moitié pleine, ils reviennent vers le rocher principal, celui où ils ont abordé en premier lieu ; mais quelle est leur surprise ! d’autres vauriens de même espèce les y ont devancés et s’emploient de leur mieux à faire la récolte. Transportés de rage, ils apprêtent leurs fusils et jouent des avirons. Ils débarquent et leur courent sus en vrais furieux ; mais les camarades ne sont pas non plus très endurants : la première question est une décharge de mousqueterie, à laquelle une autre répond ; et maintenant, à l’abordage, homme contre homme, comme des tigres ! Celui-ci, le crâne fracassé, est déposé dans son bateau ; celui-là reçoit un coup de feu à la jambe et se retire, en boitant, du champ de bataille ; un troisième a les joues percées de part en part et se sent privé de la moitié des dents ; mais enfin la querelle s’apaise ; le butin sera partagé par portions égales ; on fait la paix le verre à la main, et vous n’entendez plus que blasphèmes et grossières plaisanteries. Regardez : une fois encore ils sont repus. Presque étouffés, ivres-morts, ils trébuchent l’un sur l’autre, et bientôt à leurs sourds ronflements se mêlent les gémissements et les imprécations des blessés. Les voilà tous ensemble gisant sur la pierre ; qu’ils y restent, les brutes !