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histoire de saint augustin.

qui se passa entre Loth et ses filles, l’Ecriture le raconte, mais ne le loue point. Lorsque Isaac, mari de Rebecca, prétendit n’être que son frère, il ne fut pas plus coupable que son père Abraham. Fauste reprochait à Jacob ses quatre épouses comme un crime ; mais l’usage et les mœurs autorisaient Jacob ; nul précepte ne lui interdisait d’épouser plusieurs femmes. Ce n’était point une pensée charnelle, mais une pensée d’ordre et de religion qui animait le fils d’Isaac. Parmi les épouses de Jacob, deux étaient libres et deux étaient esclaves. Saint Paul avait vu dans l’épouse esclave et dans l’épouse libre d’Abraham une figure de l’Ancien et du Nouveau Testament ; Augustin voit dans les deux épouses libres de Jacob une image de la double vie que le christianisme nous a faite, la première toute de combat en ce monde, la seconde qui sera la possession de Dieu dans la vie future. Il avait déjà fait sa remarque symbolique sur Lia et sur Rachel, dans un ouvrage que nous avons déjà apprécié[1]. Il l’accompagne ici de diverses observations ingénieuses qui nous éloigneraient trop de notre sujet. Augustin défend tour à tour le repentir de David, la justice des guerres de Moïse, la convenance de la parole du Seigneur au prophète Osée pour changer la femme de mauvaise vie en épouse fidèle.

Après avoir répondu aux nombreuses subtilités amassées par des manichéens contre l’Église catholique, le grand évêque, comme fatigué d’avoir eu tant de fois inutilement raison dans ses disputes, demande ce qu’il doit faire, puisqu’à chaque preuve tirée des écrits des apôtres les adversaires opposent pour toute réponse la falsification des Écritures, sans pouvoir l’appuyer du moindre témoignage ! Quels sont les écrits qui auront de l’autorité, si ceux des évangélistes et des apôtres n’en ont pas ? De quel livre sera-t-on sûr si les lettres des apôtres publiées par eux, acceptées par l’Église, répandues à travers toutes les nations, paraissent d’une origine incertaine ? Quand des écrits apocryphes se sont produits dans l’Église, l’Église en a fait justice, et ces tentatives d’altération n’atteignirent point l’immuable caractère de la vérité des livres saints. Est-il un grand homme d’ailleurs dont le nom n’ait servi à protéger pour un temps des ouvrages qui ne lui appartenaient pas ? Que de livres produits sous le nom d’Hippocrate, le prince de la médecine !

On s’était rapproché de son langage et de ses idées pour mieux tromper les hommes, mais la pénétration des bons juges a reconnu le mensonge. Il en a été de même de Platon, d’Aristote, de Cicéron, de Varron et de plusieurs autres ; la critique des siècles a fait la part de la vérité. Pour ce qui est des prétendues contradictions entre les évangélistes, Augustin fait observer que des narrations inégales ne sont pas des narrations contraires ; Matthieu et Luc, Jean et Marc se complètent les uns par les autres, mais ne se contredisent jamais.

« Je vous avertis, » dit Augustin aux manichéens en terminant son trente-troisième et dernier livre, « je vous avertis, si vous voulez préférer l’autorité des Écritures à toute autre, de suivre cette autorité qui, depuis le temps de la vie du Christ, par la dispensation des apôtres et la succession des évêques sur leurs sièges, jusqu’à l’époque où nous sommes, a été transmise à toute la terre, pure, claire et respectée. Là, vous verrez se dissiper les obscurités de l’Ancien Testament, et s’accomplir les choses annoncées. Si c’est la raison seule qui vous conduit, considérez d’abord qui vous êtes et combien vous êtes peu propres à comprendre la nature, je ne dirai pas de Dieu, mais de votre âme : il ne s’agit pas de la comprendre par une croyance vaine, mais par une démonstration certaine, ainsi que vous le demandez vous-mêmes. Et comme vous ne le pouvez pas (et tant que vous serez dans cette disposition vous n’y parviendrez point), admettez du moins cette vérité qui a sa place si naturelle dans toute intelligence humaine, savoir, que la nature et la substance de Dieu sont absolument immuables et incorruptibles ; ou bien croyez, et aussitôt vous cesserez d’être manichéens, et vous deviendrez un jour catholiques. »

L’impossibilité de la raison humaine de résoudre les problèmes de la philosophie revient dans cet ouvrage comme dans beaucoup d’écrits d’Augustin. D’ailleurs, cette impossibilité n’est pas une opinion, c’est un fait aussi ancien que l’homme, et le génie si réfléchi, si profond d’Augustin devait en être singulièrement frappé. Notre origine et celle du monde, notre nature, notre fin, le spectacle de l’univers, la vie et la mort, ce sont là des mystères impénétrables à la simple raison. Il en est des grands problèmes philosophiques comme de ces hautes et abruptes montagnes à travers lesquelles on s’efforcerait

  1. De l’accord des Évangélistes.