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chapitre vingtième.

n’être pas chrétien et de ne rien faire pour plaire au Christ : la pleine adoption des doctrines manichéennes était donc la seule manière de se conformer exactement à la foi évangélique.

Il est intéressant de voir comment l’évêque d’Hippone répondit aux avances affectueuses et à la singulière invitation de l’auditeur manichéen. Cette réponse forme un livre que saint Augustin, dans sa Revue[1], préfère à tout ce qu’il a écrit contre le manichéisme.

« La bienveillance pour moi qui se montre dans votre lettre m’est douce, dit Augustin à Secondinus en commençant ; mais, plus il me faut vous rendre amour pour amour, plus je suis triste de votre ténacité dans de faux soupçons, les uns contre moi, les autres contre la vérité, qui ne peut changer. Je dédaigne facilement ce qui n’est pas vrai dans vos jugements sur mon caractère : quoiqu’ils ne soient pas exacts pour moi, ils peuvent l’être cependant pour l’homme. Vos erreurs sur mon compte ne sont donc pas de nature à me retrancher du nombre des humains ; ce que vous supposez à tort en moi peut se rencontrer dans un caractère d’homme. Ainsi, il n’est pas nécessaire que je m’efforce d’enlever ce soupçon de votre esprit. Ce n’est pas de moi que dépend votre espérance, et vous n’avez pas besoin que je sois bon pour le devenir vous-même. Pensez sur Augustin tout ce qui vous plaira, pourvu que ma conscience ne m’accuse point devant Dieu. » Passant ensuite au soupçon d’avoir abandonné le manichéisme par crainte et par désir de la gloire, Augustin l’accepte pieusement comme une utile correction.

Il dit ensuite que la crainte lui a fait quitter le manichéisme, mais que c’est la crainte de ces paroles de saint Paul, qui atteignent le manichéisme avec tant de force : « Or, l’Esprit dit expressément que, dans les temps à venir, quelques-uns abandonneront la foi, en suivant des esprits d’erreur, des doctrines diaboliques enseignées par des imposteurs pleins d’hypocrisie, dont la conscience est noircie de crimes ; ces imposteurs interdiront le mariage et l’usage des viandes que Dieu a créées pour être reçues avec action de grâces par les fidèles et par ceux qui ont reçu la connaissance de la vérité. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces, parce qu’il est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière[2]. » Quant à l’amour de l’honneur, oui, Augustin a brûlé de cet amour en se séparant de la société des manichéens ; mais l’honneur qui le pressait, c’est celui dont parle l’Apôtre : « L’honneur, la gloire, la paix sont pour tout homme qui fait le bien[3]. »

L’évêque d’Hippone combat Secondinus avec sa propre lettre, et, prenant la fleur des idées et des preuves éparses dans ses nombreux travaux contre les manichéens[4], il établit ce qu’il faut penser de Dieu, du Christ et de l’âme ; il caractérise le péché, et reprend sa profonde et belle manière d’entendre le mal qui n’est pas une substance, mais la diminution ou la défaillance du bien. Si de tous les ouvrages par lesquels le grand docteur a sapé le manichéisme, il n’était resté à la postérité que la réponse à Secondinus, cette réponse suffirait pour nous mettre en possession des arguments invincibles qui ruinent la doctrine des deux principes. Nous ajouterons que l’expression en est limpide, vive et forte. Dans les dernières pages de sa réponse, Augustin exhorte l’auditeur manichéen à ne pas repousser ses avis, à revenir à ce Dieu qui ne change pas, afin qu’on puisse lui appliquer ces paroles de l’Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière en Notre-Seigneur[5]. »

  1. Livre II, chap. 10.
  2. Saint Paul, I Épit. à Tim., chap. 4.
  3. Rom. II, 10.
  4. Les ouvrages contre les manichéens sont contenus dans le huitième volume des Œuvres de saint Augustin, édit. des Bénédictins.
  5. Éph., V, 8.