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histoire de saint augustin.

set : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé ? » C’est ainsi qu’a traduit Bossuet. Il remarque, d’après saint Paul[1], que le Sauveur prononça ces paroles avec un grand cri et beaucoup de larmes. Si Jésus, dit-il, a pleuré si amèrement sur la ruine prochaine de Jérusalem, s’il a pleuré Lazare mort, encore qu’il l’allât ressusciter, on doit bien croire qu’il n’aura pas épargné ses larmes sur la croix, où il déplorait les péchés et les misères du genre humain. Bossuet nous fait observer que le propre du pécheur c’est d’être délaissé de Dieu, et que, dans le sacrifice du Calvaire, Jésus-Christ faisait le personnage de pécheur, chargé des iniquités du monde. « Dieu, avait dit Isaïe[2], a mis sur lui l’iniquité de nous tous. » Et saint Paul[3] disait. « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous, afin que nous fussions faits en la justice de Dieu. » Ainsi Jésus-Christ a exprimé tout le fond de son supplice, quand il a crié avec tant de force : Pourquoi m’avez-vous délaissé ? Dieu ne voit plus en lui que le péché dont il s’est entièrement revêtu. Il l’abandonne à la cruauté de ses ennemis.

« Ce n’est pas ici, dit Bossuet, une plainte comme on la peut faire dans l’approche d’un grand mal. Jésus-Christ parle sur la croix, où il est effectivement enfoncé dans l’abîme des souffrances les plus accablantes, et jamais le délaissement n’a été si réel ni poussé plus loin, puisqu’il l’a été jusqu’à la mort et à la mort de la croix, qui, par une horreur naturelle, faisait frémir en Jésus-Christ son humanité tout entière. La voix de mon rugissement est bien éloignée de mon salut (la voix de mon rugissement ne suffit pas pour empêcher que mon salut ne s’éloigne). Mes cris, quoique semblables par leur violence au rugissement du lion, n’avancent pas le salut que je demande, et rien ne me peut sauver de la croix : Dieu demeure toujours inexorable ; sans se laisser adoucir par les cris de l’humanité désolée. »

Comme donc il (Jésus-Christ) est mort par puissance, dit plus loin l’évêque de Meaux, « qu’il a pris aussi par puissance toutes les passions, qui sont des appartenances et des apanages de la nature humaine, nous avons dit qu’il en a pris la vivacité, la sensibilité, la vérité, tout ce qu’elles ont d’affligeant et de douloureux. Jamais homme n’a dû ressentir plus d’horreur pour la mort que Jésus-Christ, « puisqu’il l’a regardée par rapport au péché, qui, étant étranger au monde, y a été introduit par le démon : il voyait d’ailleurs tous les blasphèmes et tous les crimes qui devaient accompagner la sienne : c’est pourquoi il a ressenti cette épouvante, ces frayeurs, ces tristesses que nous avons vues. »

« Nul homme n’a jamais eu un sentiment plus exquis ; mais pour cela il ne faut pas croire que l’agitation de ses passions turbulentes ait pénétré la haute partie de son âme ses agonies n’ont pas été jusque-là, et le trouble même n’a pas troublé cet endroit intime et imperturbable ; il en a été à peu prés comme de ces hautes montagnes qui sont battues de l’orage et des tempêtes dans leurs parties basses, pendant qu’au sommet elles jouissent d’un beau soleil et de la sérénité parfaite. »

Ainsi, à treize cents ans de distance, l’évêque de Meaux achevait de répondre au catéchumène, de Carthage qui avait demandé à l’évêque d’Hippone ce que voulaient dire ces paroles : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?

Augustin continue la réponse aux questions posées par son ami de Carthage. Les ténèbres extérieures, sur lesquelles Honoré demandait des explications, sont réservées aux orgueilleux qui n’auront mis leur confiance qu’en leurs propres œuvres, qui ne seront pas devenus enfants de la promesse, enfants de la grâce, enfants de la miséricorde. L’évêque d’Hippone distingue les ténèbres extérieures et les ténèbres plus extérieures ; les unes sont le partage ; des âmes malades qui peuvent revenir encore à la vigueur de la vérité, des âmes plongées dans les ombres qui peuvent revenir à la divine lumière ; les autres sont le partage de ceux qui sont à jamais séparés de Dieu, splendeur éternelle, et qui souffrent des tourments en expiation de leurs désordres. C’est à la charité soutenue par la vie du Christ que conviennent les quatre dimensions dont parle saint Paul, et qui faisaient le sujet d’une question d’Honoré. La charité s’exerce dans les bonne œuvres, cherchant le bien à faire, s’étendant il tous les besoins : c’est là sa largeur. Elle est patiente dans les maux, persévérante dans les voies de la vérité : c’est là sa longueur. Le but auquel elle aspire, c’est l’éternel avenir qui lui est promis : c’est là sa hauteur. Le principe

  1. Hébreux, V, 7.
  2. Isaïe, LIII, 6.
  3. Corinth., II, v, 21.