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chapitre trentième.

point la masse du ciel et de la terre : la créature raisonnable est seule capable de connaître. Le monde à qui l’Évangile reproche de n’avoir pas connu Jésus-Christ, ce sont les incroyants. Jésus-Christ a donné à ceux qui ont cru en son nom le pouvoir d’être faits enfants de Dieu. C’est la grâce de la nouvelle alliance, annoncée autrefois par de mystérieuses figures, cette grâce qui mène l’âme à la connaissance de son Dieu et à une renaissance spirituelle ou adoption. Jésus-Christ est descendu pour nous faire monter, et, sans rien perdre de sa nature, il a pris la nôtre, afin que sans rien perdre de la nôtre, nous participassions à la sienne ; mais avec cette différence qu’au lieu que la participation à notre nature ne le dégrade point, la participation à la sienne nous relève et nous rend meilleurs. C’est pourquoi le Verbe a été fait chair et a habité parmi nous. Dieu a semblé nous dire : Ne désespérez point, enfants des hommes, de pouvoir devenir enfants de Dieu, puisque le Fils de Dieu même, qui est son Verbe, s’est fait chair et qu’il a habité parmi vous.

Jésus-Christ homme n’a rien montré en lui d’heureux ni de désirable selon le monde, parce que sa mission ne regardait point la vie d’ici-bas : de là viennent, ses abaissements, sa passion et sa mort. Dieu a voulu que les méchants aient part à la félicité de cette vie, afin que les bons ne la recherchent pas comme quelque chose d’un grand prix. L’évêque d’Hippone renvoie ici Honoré à l’explication du psaume lxxvii qu’il avait donnée à Carthage, la veille de la fête de saint Cyprien.

L’Homme-Dieu a emprunté le langage de notre infirmité, lorsque, près de mourir, il s’est écrié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Ces paroles sont le premier verset d’un psaume de David qui, mille ans auparavant, prophétisait les souffrances[1], la mort, la résurrection et la gloire du Messie. Elles sont le langage du vieil homme qui s’attache à la durée de cette vie. Quelque certaine que soit la fin plus ou moins prochaine de nos jours, nous cherchons à les prolonger, car personne n’a jamais haï sa propre chair, dit saint Paul[2].

Ceux-mêmes qui désirent le plus de se voir dégager des liens du corps voudraient être revêtus d’immortalité sans passer par la mort. C’est le corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire son Église, qui parlait par la bouche du Sauveur ; c’est l’épouse qui parle par la bouche de l’époux. Gardez-vous donc de -croire que ce soit le Verbe de Dieu qui se plaigne ainsi dans ce psaume. Cette voix, qui descend du haut de la croix, est la voix d’une chair mortelle, devenue, par son union avec le Verbe, le remède de nos misères. L’Église souffrante en Jésus-Christ s’écrie par la bouche du divin Rédempteur : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonnée, » de même que Jésus-Christ souffrant dans son Église dira plus tard : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? »

L’évêque d’Hippone explique à son ami tous les versets du psaume prophétique. En interprétant ces mots : « Pour moi je suis un ver et non un homme, » il rappelle le sens donné au nom de ver par d’anciens auteurs ecclésiastiques. Jésus-Christ, disent-ils, a voulu être désigné, sous ce nom, parce que la formation du ver, né de la chair, mais sans l’alliance des sexes, a quelque rapport avec la naissance du Sauveur, sorti du sein d’une vierge. L’explication du verset xxiv amène Augustin à parler du sacrifice de la nouvelle alliance. Il dit à Honoré, qui n’était encore que catéchumène : « Quand vous serez baptisé, vous saurez en quel temps et de quelle manière on offre ce sacrifice. » La messe catholique est ici bien clairement indiquée. Personne n’ignore que le mystère de l’eucharistie était caché aux catéchumènes, et c’est ce qui a motivé les obscurités de plusieurs Pères de l’Église sur le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ.

Nous avons une explication littéraire du psaume xxi par Bossuet. Il est intéressant de rencontrer deux des plus grands évêques du monde catholique dans l’interprétation du cantique où, selon l’expression d’Augustin, on croit entendre plutôt l’Évangile qu’un prophète. L’évêque de Meaux dit avec l’évêque d’Hippone que ce psaume est plutôt historique que prophétique. « Comme Jésus-Christ, ajoute Bossuet, y mêle sa mort douloureuse avec sa glorieuse résurrection, il faudrait, pour entrer dans son esprit, faire succéder au ton plaintif de Jérémie, qui seul a pu égaler les lamentations aux calamités, le ton triomphant de Moïse, lorsque, après le passage de la mer Rouge, il a chanté Pharaon défait en sa personne, avec son armée ensevelie sous les eaux. » Il y a beaucoup d’éloquence dans l’explication de Bossuet. Il complète Augustin pour le ver-

  1. Ps. XXI. — 2
  2. Eph., V, 29.