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histoire de saint augustin.

il déroule ses eaux avec de nombreux détours, sur un espace d’environ vingt-cinq lieues, et se jette dans la mer, non loin de Gigelli.

Du sommet de la Kasbah on aperçoit une cascade qu’on prendrait pour une faible cascatelle, et qui en réalité a plus de cent pieds de hauteur. Les milans, les vautours, les corneilles, les colombes, les éperviers, volent sur l’abîme et ressemblent à d’imperceptibles hirondelles, tant la profondeur est grande. Nous avons vu avec surprise, au milieu de ces immenses rochers, les vautours et les colombes habiter ensemble comme des amis, par je ne sais quelle mystérieuse convention ; l’oiseau de proie et l’innocent oiseau sont là comme les méchants et les bons dans nos sociétés ; seulement, les vautours du Rummel sont meilleurs que les vautours de nos villes.

Pendant que nos regards plongeaient avec effroi sur le gouffre béant, les Arabes passaient tranquillement l’un après l’autre aux flancs de ces rochers, dans des sentiers pratiqués par eux : l’Arabe tient du chamois et du renard pour franchir les lieux difficiles.

La tristesse habite autour de Constantine ; tout y prend la muette sévérité du désert. Le vallon du Rummel, du côté du nord-ouest, offre seul un vivant spectacle ; ce sont des jardins, des champs de blé, de riantes collines baignées par le Rummel, qui serpente au loin : avec plus de culture et de plantations, on aurait un ravissant tableau. À l’ouest, à huit lieues de Constantine, je voyais la montagne au pied de laquelle s’élevait l’ancienne Milève, aujourd’hui Milah, qui forme le jardin de Constantine, comme Philippeville en est le Pirée.




CHAPITRE TRENTE-UNIÈME.




Les mœurs et les habitudes de saint Augustin.

Jusqu’ici, tout en poursuivant l’étude des œuvres et du génie de ce grand homme, nous n’avons pas négligé ce qui pouvait servir à faire connaître l’homme lui-même. Dans la correspondance et les livres du pontife, qui ont passé sous nos yeux depuis le commencement de notre œuvre, nous n’avons jamais manqué de reproduire ces traits et ces détails, vrais rayons de lumière, à l’aide desquels nous découvrons dans sa réalité vivante l’admirable figure d’Augustin. Maintenant nous mettrons notre lecteur face à face avec le grand évêque ; ce chapitre sera pour lui comme un repos au milieu de ces hautes questions qui vous tiennent toujours en haleine ; c’est un travail que de suivre Augustin dans ses pensées, c’est une paisible halte que de voir comment il vivait. L’imagination donne des proportions idéales aux grands hommes, et surtout aux grands hommes qui furent des saints ; elle croit les voir flotter entre ciel et terre, n’aspire à connaître d’eux que leur parole, et se les représente comme des archanges voyageurs : il y a comme un intérêt inattendu dans la peinture des mœurs et des habitudes d’un homme tel qu’Augustin.

Le visage étant le miroir de l’âme et du génie, nous voudrions parler du visage de l’évêque d’Hippone ; mais nous ne savons rien là-dessus ; le biographe du pontife, Possidius, qui vécut quarante ans dans son intimité, ne nous dit pas un mot de sa figure. C’était la chose dont les saints s’occupaient le moins. Malgré le silence absolu de tous les monuments contemporains, l’image d’Augustin est venue jusqu’à nous par une tradition dont il serait difficile de préciser l’origine ; on l’a empruntée à des tableaux ou peintures d’antiennes églises de Rome, de Venise et de Constantinople. Il y a dans ce portrait plus de convention que d’exactitude, mais il mérite le respect qui s’attache aux choses accréditées à travers les siècles. On nous permettrait cependant de ne pas enchaîner notre pensée à ce