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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/209

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chapitre trente-sixième.

ces trois lettres ; il félicitait les évêques africains d’avoir suivi les règles de la discipline et la tradition des aïeux, en consultant le siège de Pierre sur les grandes choses de la foi, et les louait de leur admirable manière de renverser le pélagianisme avec les armes de l’Écriture ; il repoussait en termes énergiques les doctrines nouvelles qui, dans sa pensée, supprimaient en quelque sorte Dieu lui-même en supprimant la prière. Innocent retranchait de la communion de l’Église Pélage et Célestius, jusqu’à ce qu’ils eussent clairement et solennellement condamné leurs erreurs. Cet anathème de Rome était un avertissement donné à la grande famille catholique ; il devenait plus difficile à Pélage d’accréditer son enseignement.

Peut-être ne s’est-il pas présenté d’exemple d’un penseur qui ait mené de front autant d’œuvres diverses que l’évêque d’Hippone. Il tenait sous la main de grands ouvrages qu’il achevait ou qu’il perfectionnait, composait des livres pour chaque grave question qui naissait de la polémique contemporaine, écrivait ou dictait des lettres dont plusieurs sont de véritables traités, se déplaçait toutes les fois que l’exigeaient les besoins religieux, prêchait très-souvent, et remplissait tous les devoirs épiscopaux, devoirs si variés, si nombreux, si pesants alors ! Nous avons déjà exprimé, dans un autre chapitre, la surprise dont on est saisi à la vue de tant de choses accomplies avec si peu de loisirs. On dirait que le miracle de Josué s’est constamment reproduit pour Augustin, afin de lui donner des jours plus longs et de lui laisser le temps de gagner toutes ses batailles contre l’erreur.

L’ouvrage sur la Trinité, qu’Augustin commença jeune et qu’il acheva vieux, comme il le dit lui-même[1], ouvrage où s’est montrée tout entière la profondeur de l’évêque d’Hippone, courut risque d’être pour jamais interrompu ; les premiers livres avaient été enlevés à l’insu de l’auteur dans un état d’imperfection qui l’affligeait ; il eût voulu d’ailleurs publier, le travail tout à la fois, à cause de l’enchaînement des idées. Augustin en avait conçu un certain dégoût pour son œuvre commencée ; il résolut de ne plus s’en occuper. Les instances de plusieurs de ses frères et l’ordre d’Aurèle, son primat, purent seuls le déterminer à reprendre ce difficile travail, qui fut terminé en 416 ; le traité sur la Trinité avait été entrepris dans l’année 400. Augustin chargea un diacre de l’Église d’Hippone de porter la première édition de l’ouvrage à l’évêque de Carthage, avec une lettre destinée à servir en quelque sorte de préface.

L’incompréhensible mystère d’un Dieu en trois personnes sera l’éternel désespoir des intelligences qui ne voudront pas s’incliner devant l’autorité de l’Écriture. Au temps d’Augustin comme aujourd’hui, on faisait des objections, on proposait des difficultés ; il fallait dissiper des doutes. Les païens, les philosophes, les chrétiens mal affermis dans la foi, s’arrêtaient devant le dogme de la Trinité comme devant un infranchissable écueil : leur raison flottait au hasard autour de cette vérité révélée ; elle se créait d’épaisses ombres qui lui dérobaient le jour divin. Le christianisme n’était point encore entré profondément et universellement dans le monde intellectuel et moral ; des images grossières et des imperfections se mêlaient encore à l’idée qu’on avait de Dieu, et cette façon incomplète de concevoir la Divinité empêchait qu’on ne s’élevât à la contemplation du mystère de la Trinité, autant que nos faibles ailes peuvent atteindre à d’inaccessibles hauteurs. Divers passages de l’Évangile étaient aussi l’occasion de difficultés ; on en demandait l’explication. Augustin fait observer que les Latins n’avaient pas suffisamment éclairci ce mystère, et que les travaux des Pères grecs sur cette question n’avaient pas été traduits dans la langue de l’Occident.

Parmi ces Pères grecs, il en est un dont le nom se lie avec un prodigieux éclat aux luttes en faveur du dogme de la Trinité, c’est l’immortel patriarche d’Alexandrie, Athanase, qui se révéla tout à coup au concile de Nicée ; Athanase, génie ardemment actif, d’une rigoureuse netteté, d’une inflexible exactitude, intrépide et persévérant travailleur au profit de l’unité religieuse ! L’arianisme dans l’Église, l’arianisme à la cour impériale le poursuivirent longtemps de haines impitoyables ; il subit vingt ans d’exil sur quarante-six ans d’épiscopat ; mais lorsque, vieux athlète, il mourut sur son siège d’Alexandrie, il laissa le dogme chrétien triomphant.

Toutefois, la doctrine sur le Dieu en trois personnes ne resplendissait pas d’assez de lumières dans les Églises d’Occident. Une grande tâche

  1. Lettre à Aurèle, évêque de Carthage, placée en tête des quinze livres sur la Trinité. Tome VIII, édit. des Bénéd.