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histoire de saint augustin.

que bien peu de temps à donner à la lecture, fit une réponse étendue[1], où se trouve supérieurement résumée cette question du donatisme dont il s’était tant et si fortement occupé.

Indépendamment du but particulier dont nous parlerons tout à l’heure, nous trouvons dans cette lettre deux faits curieux : le premier, c’est que des troupes de donatistes, avant l’abolition du culte païen, se jetaient à travers les polythéistes le jour de leurs fêtes solennelles, non point pour briser les idoles, mais pour chercher la mort sous les coups de leurs adorateurs. Le second fait, c’est que parmi les donatistes, toujours unis d’espérance aux ennemis de l’empire, il s’était élevé un parti qui, pour se ménager la faveur des Goths, appartenant à l’arianisme, s’efforçait d’accréditer l’idée d’une communauté de foi entre le donatisme et la secte d’Arius.

Dans sa réponse au comte, Augustin paraît surtout s’attacher à prouver qu’il était permis d’user des lois impériales pour ramener plus promptement et plus sûrement les donatistes à l’unité. Nous avons déjà touché à ce point délicat, à ces problèmes de conduite ecclésiastique, qui ne sauraient être résolus légèrement. Ainsi que nous l’avons fait observer, il serait misérable de juger la question avec les idées et les mœurs des temps modernes, où la tolérance philosophique est devenue la règle des pouvoirs temporels en matière religieuse ; il ne faut pas perdre de vue que, dans la société chrétienne du cinquième siècle, l’indifférence en matière de foi n’était admise par personne, et que la religion tenant profondément aux entrailles des peuples, la force et la prospérité publiques étaient intéressées à la conservation de l’unité morale. Augustin, dont quelques historiens modernes ont calomnié la charité et méconnu l’immense bienveillance à l’égard des hérétiques, ne s’est pas exprimé autrement que Bossuet et Fénelon sur les points qui ont fourni matière à tant de déclamations. Il a toujours et de toutes ses forces repoussé la peine de mort pour les hérétiques ; il admettait seulement des devoirs envers Dieu de la part des princes, et pensait qu’il faudrait avoir perdu le sens pour dire aux rois : Ne vous mettez point en peine de savoir par qui est défendue ou attaquée dans votre royaume l’Église de votre Seigneur[2].

Les donatistes, pour rejeter l’intervention de ces pouvoirs temporels, qu’ils avaient été les premiers à invoquer, disaient qu’aux premières époques de la foi les chrétiens n’eurent jamais recours à l’autorité des princes ; la raison en est évidente, répondait Augustin, c’est qu’alors il n’y avait pas de princes soumis à la loi évangélique ; c’était le temps des frémissements a des peuples et des conjurations des rois contre le Seigneur et son Christ[3]. Dans le cinquième siècle au contraire, c’était le temps de l’accomplissement de ces paroles : Tous les rois de la terre l’adoreront, et toutes les nations le serviront… Maintenant comprenez, ô rois, instruisez-vous, juges de la terre, servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement[4]. Or, pour les rois, ajoute l’évêque d’Hippone, servir le Seigneur, c’est défendre et punir avec une religieuse sévérité la violation des ordres divins. Un roi a des devoirs comme homme et des devoirs comme roi. Les princes punissent les crimes qui troublent et renversent les États : pourquoi ne puniraient-ils pas les crimes qui peuvent ruiner la religion ? Ainsi raisonnait Augustin. Il convient et plusieurs fois il répète qu’il vaut mieux conduire les hommes par les voies douces et les convaincre par la vive impression de la vérité ; mais les auteurs profanes comme les auteurs sacrés lui apprennent que la contrainte est souvent nécessaire pour l’accomplissement] du bien, et que le cœur humain, si enclin au mal, a besoin d’être pressé par la crainte. Tous les hommes ne disent point avec le royal prophète : Mon âme a eu soif de Dieu qui est la fontaine d’eau vive ; quand paraîtrai je devant la face de Dieu[5] ? Il en était de la terreur des lois impériales comme de la terreur de l’enfer ; les âmes qui brûlent d’amour pour la vérité éternelle et les biens invisibles n’ont pas besoin, que des menaces les excitent à la fuite du désordre et de l’erreur.

Dans le festin de la parabole évangélique, le compelle intrare[6] (forcez-les d’entrer) n’est pas prononcé qu’après l’inutilité des premières invitations. Augustin obligé de recourir aux empereurs dans l’intérêt de l’Église d’Afrique, bien loin de céder à ses penchants, n’obéis-

  1. Lettre 185. Cette lettre est l’un des écrits de saint Augustin dont Bayle a donné les plus étranges interprétations. Bayle s’est montré à la fois grossier, injurieux et inexact dans ses critiques du grand évêque d’Hippone. On peut lire avec fruit la Réfutation des critiques de Bayle sur saint Augustin, par le P. Merlin. Paris, 1732, in-4o.
  2. Quis mente sobrius regibus dicat : Nolite curare in regno vestro a quo tueatur vel oppugnetur Ecclesia Domini vestri.
  3. Ps. II, vers. 1 et 2.
  4. Ps II, vers 10 et 11.
  5. Ps. XLI, 3.
  6. Saint Luc, chap. XIV, vers. 23.