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histoire de saint augustin.

semble que des paroles de notre bouche affaibliraient la louange, et nous sommes heureux d’avoir à reproduire ici quelques lignes du grand homme de Bethléem adressées au grand homme d’Hippone.

« Courage, disait Jérôme à Augustin[1] votre nom est illustre dans l’univers. Les catholiques vous vénèrent et vous admirent comme le restaurateur de l’ancienne foi[2] ; et, ce qui est le signe de la plus grande gloire, vous êtes détesté par les hérétiques ; ils me poursuivent d’une égale haine, et, ne pouvant nous tuer par l’épée, ils nous tuent par leurs souhaits. »

Augustin aimait sans doute à voir le nom de son cher Alype se mêler au sien sur les lèvres de Jérôme. « Je voudrais, » leur disait le vieux solitaire, et cette lettre est une des dernières qu’il ait écrites, « je voudrais avoir les ailes de la colombe pour m’envoler vers vous ; Dieu sait avec quelle joie je vous embrasserais tous les deux, surtout en ce temps-ci où vous venez de donner le coup de mort à l’hérésie de Célestius[3]. »




CHAPITRE TRENTE-NEUVIÈME.




Utilité des hérésies. — Livre de la Grâce de Jésus-Christ et du Péché originel.

(418)


La tranquille possession de la vérité, sans combat, sans péril, sans tentation aucune, n’eût pas été en harmonie avec la condition actuelle de l’homme ; elle eût exclu le courage, la vertu, tout ce qui fait notre gloire. L’hérésie est sur la terre ce qu’était l’arbre de la science dans l’Eden primitif : elle éprouve et donne à l’homme la mesure de sa propre valeur. L’hérésie est un choix, comme son nom l’indique ; c’est l’indépendance de la raison se posant en face de la foi qui révèle des vérités inaccessibles à notre entendement ; c’est l’orgueil humain qui jamais n’abdique et qui proteste contre tout ce qu’il ne comprend pas ; c’est l’insurrection de la philosophie contre l’autorité de la religion ; c’est enfin le travail incessant de la passion humaine cherchant à briser tout ce qui arrête l’impétuosité de son élan. L’hérésie établit la lutte, et c’est par la lutte qu’on se purifie, qu’on devient fort et grand, et qu’on entre en possession de toute son énergie ; en ce monde, comme dans l’autre, la gloire n’est que le prix de la lutte ; c’est la lutte qui classe les hommes et détermine les mérites de chacun ; la lutte vous tient sans cesse en haleine, elle enfante le progrès moral et religieux.

L’hérésie a prodigieusement servi au développement des idées et des croyances chrétiennes ; elle a amené le développement d’un corps de doctrines le plus vaste et le plus complet qui ait jamais existé. À chaque attaque, la vérité répondait par un de ces puissants envoyés de Dieu qu’on nomme les Pères de l’Église. À côté de chaque grand ennemi qui conjurait la ruine de l’œuvre divine, s’élevait un grand homme de foi pour le terrasser. Le point du christianisme qu’on menaçait s’entourait alors de plus de force ; des flots de clartés ruisselaient là où un peu de nuit avait servi de prétexte à des opinions nouvelles ; tout ce qui n’était qu’en germe ou en indication dans les Écritures prenait d’imposantes et de lumineuses proportions ; on avait espéré détruire, et l’effet de ces coups multipliés, de ce long acharnement, c’était de faire monter plus haut, d’agrandir et d’achever l’édifice de la foi catholique. Sans l’hérésie, c’est-à-dire sans la nécessité de l’explication et de la défense, nous connaîtrions moins à fond la religion chrétienne, plus imparfaitement le sens des Écritures. Le divin fondateur du christianisme avait suspendu je ne sais quels beaux nuages

  1. Lettre 225.
  2. Conditorem antiquae rursum fidei.
  3. Lettre 202.