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chapitre quarante-deuxième.

Où vous conduirait le désir des biens terrestres ? Dit encore l’évêque d’Hippone[1]. Vous chercherez des fonds, vous voudrez posséder des terres ; alors vous chasserez devant vous vos voisins ; ceux-ci étant chassés, vous porterez envie à ceux qui les suivent, et ainsi vous étendrez votre avarice jusqu’à ce que vous ayez atteint les rivages de la mer. Parvenus à ces rives, vous voudrez posséder les îles ; vous posséderiez toute la terre, que vous voudriez saisir encore tous les trésors du ciel. Triomphez donc de la cupidité. Il est bien plus beau Celui qui a fait le ciel et la terre. Celui qui a créé toutes les belles choses est plus magnifique encore.

Le docteur prêche le respect pour le bien d’autrui, et raconte le trait suivant d’un homme très-pauvre ; le fait se passa à Milan, pendant qu’Augustin s’y trouvait[2]. Cet homme était portier d’une école de grammaire, bon chrétien, quoique son maître fût païen. « Il avait trouvé un sac qui contenait, je crois, deux cents écus. Il se souvint de la loi, il savait qu’il fallait restituer ; mais à qui ? il l’ignorait. Il afficha donc publiquement : « Que celui qui a perdu une somme d’argent s’adresse à tel endroit, à telle personne. » Celui qui avait perdu l’argent, après d’inutiles recherches de tous côtés, aperçoit l’affiche et court à l’adresse marquée. Le portier, pour ne pas être trompé sur le véritable maître, multiplie les questions sur l’étoffe du sac, sur le cachet, le nombre de pièces, etc. Les réponses ayant précisément désigné l’objet trouvé, le portier rendit tout. L’autre, plein de joie et cherchant à témoigner sa gratitude, offrit à ce pauvre homme le dixième de la somme renfermée dans le sac vingt écus ; le pauvre les refuse. Dix écus lui sont offerts, il ne les reçoit pas. On le prie au moins d’en accepter cinq ; prière inutile. — Eh bien ! dit alors celui qui était venu réclamer le sac en le jetant loin de lui avec une sorte de fureur, je n’ai rien perdu, puisque vous ne voulez rien recevoir. — Quelle scène ! quel combat ! C’est la terre qui en est le théâtre ; mais Dieu en est le spectateur. Le portier, poussé à bout, accepte donc ce qui lui était offert avec tant d’instance, et aussitôt donne tout aux pauvres, ne voulant pas enrichir sa demeure d’un seul des écus qui ne lui semblaient pas provenir d’un gain légitime. »

L’âme d’Augustin, ainsi que nous l’avons remarqué, se répandait en touchantes paroles toutes les fois qu’il fallait consoler les pauvres ou exciter la compassion des riches. Il disait aux pauvres qu’ils avaient en commun avec les riches la possession du monde, qu’ils n’habitaient pas les mêmes demeures, mais qu’ils pouvaient jouir également du ciel et de la lumière. Il les invitait à ne pas chercher au delà du nécessaire, car le reste appesantit et ne soutient pas, le reste charge et n’honore pas. Personne n’a rien apporté en venant au monde ; les riches n’ont rien apporté ; ils ont trouvé ici tout ce qu’ils possèdent. Ils sont arrivés nus comme les pauvres ; la faiblesse du corps et les vagissements ont été les témoins de leur commune misère[3].

Le superflu des riches est le nécessaire des pauvres, dit le saint évêque. Quand on possède le superflu, on possède le bien d’autrui. Faites l’aumône, et tout sera pur pour vous. Si vous étendez la main, et que vous n’ayez pas la miséricorde dans le cœur, vous ne faites rien ; mais si vous avez la miséricorde dans le cœur et que vous n’ayez rien à présenter dans votre main, Dieu reçoit votre aumône. Lorsque nous en avons encore le temps, faisons le bien. Si vous avez peu à semer, ne soyez point tristes, pourvu que vous ayez la bonne volonté. Dieu couronne votre bon vouloir intérieur, quand le pouvoir vous manque[4]. Un peu d’eau froide donnée à celui qui a soif ne perdra pas sa récompense. Gardez-vous de vous enorgueillir en donnant aux pauvres, en accueillant le voyageur : Jésus-Christ a été voyageur et étranger. Bien souvent celui qui est reçu est meilleur que celui qui reçoit. Quand vous donnez à un pauvre, peut-être votre indigence est plus grande que la sienne, peut-être faites-vous l’aumône à un juste ; il manque de pain et vous de vérité ; il a besoin d’un toit pour se loger, et vous avez besoin du ciel ; il est pauvre d’argent, et vous pauvre de justice.

Augustin, qui recommandait de regarder les mains vides, si on voulait avoir plus tard les mains pleines[5], ne manquera point de tracer aux évêques leurs devoirs vis-à-vis des indigents : « Il n’appartient point à un évêque, disait-il, de garder de l’or et de repousser la main du mendiant[6]. »

  1. Sermon 139.
  2. Sermon 178.
  3. Sermon 85.
  4. Coronat Deus intus voluntatem, ubi non invenit facultatem. In Ps. CIII.
  5. Respice menus inanes, si vis habere menus plenas. In Ps. LXXV.
  6. Non enim episcopi est servare aurum, et revocare a se mendicantis manum. In Ps. CIII.