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histoire de saint augustin.

miséricorde au vaincu et au captif, surtout quand les intérêts de la paix ne sauraient en être compromis. »

Il y a, dans ces paroles que nous venons de reproduire, tout un plan de politique chrétienne à l’usage des armées ; pendant que nos jeunes troupes, belles de gloire et de patriotisme, combattent en Afrique pour rejeter au loin le génie de la barbarie, elles peuvent entendre d’utiles et de grandes leçons sortir des ruines d’Hippone.

Durant le séjour de notre docteur à Césarée, on avait reçu des lettres d’Optat, évêque de Tubunes, adressées aux évêques de la Mauritanie Césarienne ; Optat voulait savoir quelle était la pensée d’Augustin sur l’origine de l’âme ; deux pontifes prièrent le grand docteur d’écrire lui-même sur ce sujet à l’évêque de Tubunes ; il céda à leurs instances, et, dans une lettre[1] étendue, il exposa ses doutes, et marqua ce qu’il importait de savoir sur la question pour laquelle on sollicitait son génie.

Augustin commence par déclarer qu’il ne s’est jamais prononcé définitivement sur cette matière, et qu’il ne poussera jamais la hardiesse jusqu’à donner aux autres pour certain ce qui lui paraît douteux à lui-même. On peut sans danger ignorer l’origine de l’âme, mais il faut se garder de croire qu’elle fasse partie de la substance de Dieu. L’âme est une créature ; elle n’est pas née de Dieu, mais Dieu l’a faite ; lorsqu’il l’adopte, c’est par une merveille de sa bonté, et non point par aucune égalité de nature. La présence de l’âme dans un corps corruptible n’est la peine d’aucune faute dans je ne sais quelle autre vie antérieure à la vie de la terre. Voilà les points qu’établit Augustin. Après avoir repoussé l’opinion de Tertullien, qui admet quelque chose de corporel dans la nature de l’âme comme dans la nature de Dieu, l’évêque d’Hippone fait observer que, parmi les sentiments divers sur l’origine de l’âme, la propagation des âmes s’accorde le mieux avec le dogme du péché originel. Toutefois, Augustin ne trouve pas ce sentiment facile à admettre. Il ne conçoit guère comment l’âme de l’enfant peut sortir de l’âme du père et passer du père dans l’enfant, semblable à un flambeau qui allume un autre flambeau sans que ce nouveau feu diminue le premier. Il se demande si un germe d’âme passe du père dans la mère par quelque voie invisible et cachée, et si, chose incroyable, le germe de l’âme réside dans la matière génératrice : dans ce cas, que deviendrait le germe incorporel quand la matière se perd sans rien produire ? rentrerait-il dans le principe d’où il est sorti ? périrait-il ? et s’il périssait, comment d’un germe mortel sortirait-il une âme immortelle ? L’âme ne reçoit-elle l’immortalité qu’après qu’elle a été formée pour la vie, comme elle ne reçoit la sagesse que plus tard ? Dirons-nous que Dieu forme l’âme dans l’homme, si elle naît d’une autre âme, comme on dit que Dieu forme les membres du corps, quoiqu’un autre corps en ait fourni la matière ? Si Dieu n’était pas l’auteur de l’âme humaine, l’Écriture[2] n’aurait pas dit : « Dieu fait l’esprit de l’homme dans l’homme lui-même. Il fait séparément les cœurs[3]. » Quand l’homme, dit Augustin, pose des questions semblables, que notre entendement ne peut résoudre, et qui sont bien loin de notre expérience, parce qu’elles sont cachées dans les secrets de la nature, il ne doit pas rougir de confesser son ignorance, de peur de mériter de ne rien savoir en se vantant de connaître ce qu’il ignore. Dieu qui a fait chaque souffle[4], selon l’expression d’Isaïe, est l’auteur de toutes les âmes dont la succession doit remplir le temps, mais il a laissé leur origine dans une impénétrable obscurité.

La lettre à Optat renferme le fragment d’une des lettres dans lesquelles Zozime a condamné Célestius et Pélage ; cette pièce ne se trouve dans aucune collection ecclésiastique ; le fragment conservé par Augustin établit l’efficacité du baptême et le péché originel, et tire un grand prix de la perte de l’épître pontificale. « Le Seigneur, disait Zozime, est fidèle dans ses paroles, et son baptême, par la chose et les paroles, c’est-à-dire par l’œuvre, la confession et la véritable rémission des péchés, contient la même plénitude pour tout sexe, tout âge et toute condition du genre humain. Celui-là seul devient libre, qui auparavant était l’esclave du péché ; celui-là seul peut être dit racheté, qui auparavant a été captif par le péché, selon ce qui est écrit : Si le Fils vous délivre, vous serez vraiment libres[5]. Par lui nous renaissons spirituellement, par lui nous sommes crucifiés au monde, par sa mort se rompt cette cédule qui lie « toute âme à la mort depuis Adam, et qui en-

  1. Lettre 190.
  2. Zacharie, XXII, 1.
  3. Psaume XXXIII, 15.
  4. Isaïe, LVII, 16.
  5. Jean viii, 36.