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chapitre quarante-quatrième.

même ne doit pas dissoudre. Le grand apôtre n’a pas craint d’appeler la chasteté conjugale un don de Dieu[1]. La polygamie fut permise aux patriarches, parce qu’il importait de multiplier le peuple de Dieu ; le monde n’est plus aujourd’hui dans ces conditions ; l’union de l’homme avec une seule femme est plus conforme à la pensée divine ; une seule femme fut donnée au premier homme.

Julien, l’évêque de Campanie, resté le chef de la secte pélagienne, voulut descendre dans ce champ de bataille. Il avait été l’ami de la plupart des grands hommes de l’Église ses contemporains, et l’apparition de ce jeune et nouvel adversaire fut un sujet d’étonnement pour le monde catholique. Son père, Mémorius, évêque d’une piété tout à fait évangélique, aimait et révérait Augustin, ainsi que nous avons eu occasion de le dire. Saint Paulin, qui était poète, chanta le mariage de Julien. Peu de temps après, la mort ou la continence l’ayant séparé de sa femme, Julien fut élevé au diaconat ; le pape Innocent Ier l’aimait beaucoup ; il l’ordonna lui-même évêque d’Éclame. Le séjour à Rome, au lieu de fortifier Julien dans la doctrine catholique, porta malheur à sa foi ; le fils de Mémorius y devint pélagien ; toutefois, craignant peut-être d’attrister le cœur de ceux qui l’aimaient le plus, il attendit la mort de son père, de sa mère et du pape Innocent, pour laisser éclater sa rébellion contre l’Église. La Cilicie abrita sa vie après les décrets d’Honorius. Nous le voyons en 419 s’efforçant, mais en vain, de tromper le pape Sixte sur la vérité de ses doctrines, puis forcé de quitter encore l’Italie et cherchant un refuge à Lérins[2], auprès de Fauste, le célèbre semi-pélagien. Julien reparut après la mort de Sixte, mais l’inflexibilité du pape saint Léon le contraignit pour la troisième fois de sortir de l’Italie. Le dernier terme de son errante et triste vie fut un village de la Sicile où Julien ouvrit une école.

Son début dans la lutte fut un ouvrage en quatre livres, contre le livre des Noces et de la Concupiscence ; des extraits de, cet ouvrage furent envoyés au comte Valère ; celui-ci les remit au vénérable Alype, qu’il vit à Ravenne, et qui se rendait à Rome ; il désirait qu’Augustin s’empressât d’y répondre ; le grand docteur n’eut en main ces fragments qu’au retour de l’évêque de Thagaste, et ce fut seulement en 420 qu’il réfuta Julien, le fils de son ami, dans un deuxième livre des Noces et de la Concupiscence. Augustin regrettait de ne pas avoir l’ouvrage de Julien tout entier ; mais on ne lui laissa pas le temps d’attendre ce qui lui manquait. Les raisonnements et les objections auxquels répond l’évêque d’Hippone ne nous ont présenté rien de nouveau ; ce sont des difficultés contre le péché originel, difficultés dont Augustin a déjà tant de fois triomphé par le témoignage de saint Paul, par la constante doctrine des Pères et tout l’enseignement de l’Écriture. À défaut d’arguments et de bonnes preuves contre le puissant adversaire qu’il attaque, Julien reproduit inexactement ses paroles et dénature ouvertement ses pensées. Augustin rétablit chaque chose dans sa vérité. Désormais il ne perdra pas de vue Julien, l’opiniâtre représentant de l’hérésie ; il sentira rajeunir son génie en présence de cet ennemi impétueux, et ne se lassera point de repousser ses agressions tant que demeurera sur ses lèvres le souffle de la vie.

En suivant la controverse pélagienne, une observation s’est souvent offerte à notre esprit. Les pélagiens se disaient chrétiens, parlaient bien haut de leur foi, de leur soumission aux divines Écritures, et leur doctrine était une négation du christianisme tel que l’ont établi les livres saints ! Si vous n’êtes pas croyants, si notre religion n’est pas la vôtre, si nos Écritures ne renferment pas, selon vous, la vérité, rejetez le péché originel et la grâce de Jésus-Christ ; proclamez à votre aise la grandeur et la puissance de l’homme, supprimez le secours divin dont la nécessité nous est prêchée ; c’est votre droit, c’est le droit de votre raison, sauf à discuter contre vous les preuves de notre foi ; mais du moment que vous vous dites chrétiens et dociles à l’enseignement des Écritures, nous ne comprenons plus votre rationalisme : le rationalisme et l’enseignement des livres saints ne marchent pas ensemble. Or, l’vcriture est formelle sur le péché originel, sur l’impuissance de l’homme à faire le bien sans le secours de Dieu, et voilà comment la simple interprétation des textes sacrés a suffi pour démolir le pélagianisme qui se présentait au nom de la foi ; voilà comment il a été écrasé sous un foudroyant amas de témoignages empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament. Nous ne parlons

  1. I Cor., VII, 7.
  2. Les deux îles de Lérins, aujourd’hui les îles de Saint-Honorat et de Sainte-Marguerite, à peu de distance de Cannes, en Provence.