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histoire de saint augustin.

vieux ans ! Il ne veut pas qu’après sa mort sa chère église d’Hippone soit troublée par des querelles de succession épiscopale, et soumet à l’approbation solennelle du clergé et du peuple un choix sur lequel il a longtemps médité. De bruyantes adhésions retentissent, et l’amour du peuple pour Augustin s’exprime en des acclamations touchantes. Avec quel inexprimable intérêt on entend le grand évêque solliciter de son peuple quelques loisirs pour l’intervalle qui le sépare encore de la tombe, et lui assurer que ces loisirs seront bien occupés !

Cette séance d’élection épiscopale dans la basilique d’Hippone est une frappante image des séances du sénat romain lorsqu’il nommait lui-même un empereur ; l’armée qui, à l’ère honteuse des Césars, s’était brutalement accoutumée à donner des maîtres à l’univers romain, ayant bien voulu laisser au sénat le soin de désigner le successeur d’Aurélien, ce fut Tacite, auparavant consul, que les pères conscrits élevèrent à l’empire, dans la séance du 25 septembre 275. Après que le sénat lui eut décerné l’autorité souveraine, Tacite fit remarquer aux pères conscrits qu’il était déjà au penchant de la vie et que mieux vaudrait élire un jeune chef capable de conduire les soldats et de manier le javelot. Mais ses excuses se perdirent dans les acclamations de l’illustre assemblée, acclamations diverses et répétées, constatées avec leur nombre dans les actes publics, comme dans le procès-verbal de l’élection populaire d’Éraclius, successeur d’Augustin ; le nombre de fois est mentionné pour donner plus de valeur aux actes et plus d’autorité à l’élection. Il faut citer ici le passage de Flavius Vopiscus[1], le biographe de Tacite : « Le sénat répondit par ces acclamations : Trajan aussi était âgé lorsqu’il monta sur le trône (dix fois) : Adrien y parvint vieux (dix fois) ; et Antonin n’était plus jeune lorsqu’il l’obtint (dix fois). N’avez-vous pas lu[2] : je reconnais les cheveux blancs et la barbe blanche du roi des Romains ? (dix fois :) qui mieux qu’un vieillard sait régner ? (dix fois.) Nous ne vous créons pas soldat, mais empereur (vingt fois). Vous ordonnerez aux soldats de combattre (trente fois). Vous avez de l’expérience et un excellent frère (dix fois). Sévère a dit que c’était la tête et non les pieds qui commandait (trente fois). C’est votre âme et non votre corps que nous chérissons (vingt fois). Auguste Tacite, les dieux vous conservent ! »

Il est, dit-on, trois choses qu’Augustin aurait désiré voir en ce monde : Rome dans sa gloire, Cicéron à la tribune, et saint Paul prêchant[3]. Quel homme ne se serait point estimé heureux d’avoir vu de tels spectacles ! mais il nous appartient d’ajouter qu’un des spectacles auxquels nous aurions aimé à assister sur la terre, c’est celui d’Augustin faisant comme son testament devant le peuple d’Hippone et prenant pour ainsi dire congé de ce peuple comme évêque. Nous aurions voulu voir l’amour de cette multitude chrétienne monter vers son pasteur avec des cris et des larmes. Nous aurions voulu être témoin de l’émotion de ce grand homme lorsque, commençant à recueillir en ce monde le prix de ses travaux sublimes, il entendait sortir de la bouche du peuple ces paroles inspirées par le respect, la reconnaissance et l’enthousiasme : Longue vie à Augustin ! C’est vous, Augustin, que nous demandons pour père et pour évêque !

  1. Histoire auguste.
  2. …Nosco crines incanaque menta
    Regis Romani…
    (Virgile, Énéide, livre 6.)
  3. Nous n’avons trouvé ce trait dans aucun des ouvrages ni dans aucune des lettres de saint Augustin. Il est rapporté par Lancilot (Vie de saint Augustin), et aussi par Cornélius à Lapide, qui cite Juste-Lipse et Ravisius. Les versions sont différentes : dans quelques-unes, au lieu de Cicéron à la tribune, c’est Jésus-Christ conversant avec les hommes que saint Augustin aurait voulu voir.