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chapitre quarante-neuvième.

songent pas le moins du monde à accomplir les préceptes de la rhétorique. Quand nous lisons les discours des grands orateurs, nous trouvons qu’ils n’ont manqué à aucune des règles de l’art. Ces orateurs accomplissent tous les préceptes, parce qu’ils sont éloquents, mais ils ne s’élèvent pas à l’éloquence à l’aide des préceptes.

Lorsque quelqu’un parle avec éloquence, on croit aisément qu’il parle avec vérité. Cette remarque d’Augustin nous fait comprendre toute l’importance qu’il attachait au bien dire ; il ne veut pas que l’orateur chrétien renonce à une aussi puissante ressource. Celui qui n’est pas riche de son propre fonds doit emprunter les paroles de ceux qui sont grands ; le prêtre chrétien dépourvu d’éloquence naturelle doit recourir aux écrivains sacrés. Tout devient grand dans la bouche de l’homme chargé d’annoncer les choses du salut éternel. Quand on ne peut plaire par ses discours, on doit plaire par ses raisons, et pour cela s’efforcer de parler sagement ; s’il y a du plaisir à entendre les orateurs, il y a du profit à entendre les sages. Aussi l’Ecriture ne dit pas la multitude des éloquents, mais la multitude des sages est la santé de l’univers[1]. L’heureuse merveille, c’est la réunion de la sagesse et de l’éloquence. L’Église en a offert des exemples nombreux.

Il n’y a pas d’éloquence sans convenance et proportion avec l’orateur lui-même. Ces hommes divins (les écrivains sacrés), si dignes d’une souveraine autorité, ont une éloquence qui leur est propre. Plus elle semble rampante, plus elle s’élève, non point par l’enflure, mais par la solidité. « Si j’en avais le loisir, dit Augustin, je montrerais dans les livres sacrés de ceux que la Providence nous a donnés pour nous instruire et nous faire passer de ce siècle corrompu au siècle bienheureux, je montrerais toutes les qualités et tous les ornements d’éloquence dont se glorifient les hommes qui préfèrent l’enflure de leur langage à la majesté de nos auteurs inspirés. Mais ce qui me charme dans ces grands hommes, ce n’est pas ce qu’ils ont de commun avec les orateurs et les poètes païens. Ce que j’admire, ce qui m’étonne, c’est qu’ils usent de notre éloquence de manière à lui donner place et à ne pas s’en servir comme d’une parure… Telle est l’expression des écrivains sacrés, que les paroles ne semblent point cherchées, mais comme placées d’elles-mêmes pour la signification des choses : vous diriez que lorsque la sagesse sort de sa demeure, qui est le cœur du sage, l’éloquence la suit sans être appelée, comme une esclave dont elle ne se sépare jamais. » Toutes ces lignes sont admirables, et rien de plus ingénieux, de plus vrai n’a été dit sur le langage de nos auteurs sacrés.

Dans les belles Épîtres de saint Paul, l’éloquence n’apparaît que comme une compagne de la sagesse ; celle-ci marche la première, l’autre la suit. Augustin cite principalement la deuxième Épître aux Corinthiens.

Il craindrait qu’on n’enlevât aux écrivains hébreux quelque chose de leur gravité, si, dans les versions, on cherchait à donner à leur discours plus de cadence et de nombre. La connaissance de l’harmonie n’a pas manqué aux prophètes ; saint Jérôme a cité des vers de quelques-uns des Voyants d’Israël. Mais si lui, Augustin ; autant que la sobriété le permet, ne néglige pas la cadence à la fin des périodes, il aime à la trouver rarement dans les oracles du divin esprit.

L’évêque d’Hippone insiste sur la vie de l’orateur chrétien comme sur l’indispensable condition sans laquelle sa parole est vaine : il faut que l’orateur évangélique soit lui-même sa plus grande autorité. Rien de ce qu’il annonce ne lui appartient, s’il parle bien et s’il vit mal.

Le dernier chapitre est un acte d’humilité d’Augustin, qui confesse son indigence et n’a jamais pensé à se donner pour modèle ; il a voulu seulement montrer, selon son pouvoir, ce que doit être celui qui, dans la doctrine chrétienne, s’applique à être utile à lui-même et aux autres.

L’ouvrage sur la Doctrine chrétienne, un des meilleurs de l’évêque d’Hippone, serait digne de devenir le manuel du prêtre. Fénelon l’a plus d’une fois cité dans ses Dialogues sur l’éloquence.

  1. Le livre de la Sagesse, vi, xxvi.