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LES RÉTRACTATIONS. — LIVRE PREMIER.

corps, soit ailleurs, dans un corps ou sans corps, ni qu’elle ait appris antérieurement dans une autre vie les connaissances sur lesquelles elle répond quand on l’interroge et sur lesquelles elle n’a pas encore été instruite ici-bas. Il se peut faire, en effet, comme nous l’avons remarqué dans le présent ouvrage[1], qu’elle en soit capable parce qu’elle est une nature intellectuelle, en relation non-seulement avec les choses intellectuelles, mais avec les immuables, et ainsi ordonnée que, lorsqu’elle se tourne vers les objets avec lesquels elle est en rapport ou vers elle-même, elle puisse, autant qu’elle les voit, donner à leur sujet des réponses véritables. Sans doute elle n’a pas apporté avec elle et ne connaît pas tous les arts de cette manière ; en effet, elle ne saurait, sans avoir été enseignée, parler des arts qui se rapportent aux sens corporels, comme presque toute la médecine, comme toute l’astronomie. Mais sur ce que l’intelligence seule suffit à comprendre, ainsi que je l’ai dit, elle peut, quand elle s’interroge ou qu’on l’interroge bien et quand elle réfléchit, répondre justement.

3. Ailleurs : « Je voudrais, ai-je dit, faire ici bien des additions, et me contraindre, tandis que je vous enseigne, à ne rien faire autre chose que de me rendre à moi-même, à qui je me dois surtout. » J’aurais dû plutôt dire : « Me rendre à Dieu, à qui surtout je me dois. » Mais comme l’homme doit d’abord se rendre à lui-même, afin que partant de soi comme d’un degré il s’élève jusqu’à Dieu, à l’exemple de l’enfant prodigue, qui commença à revenir à soi avant de dire : « Je me lèverai et j’irai à mon père[2] » voilà pourquoi je me suis exprimé de la sorte. Peu après, du reste, j’ai ajouté : « Puissé-je devenir aussi l’ami et l’esclave de Dieu[3] ! » Ces mots : « à qui je me dois surtout, » je les entendais donc par rapport aux hommes ; en effet, je me dois beaucoup plus à moi qu’aux autres hommes, quoique je me doive à Dieu plus qu’à moi-même. Ce livre commence ainsi : « Puisque je vous vois des loisirs surabondants. »


CHAPITRE IX.

du libre arbitre. — trois livres.


1. Pendant que nous résidions encore à Rome, nous voulûmes discuter la question de l’origine du mal. Nous désirions dans ces conférences, s’il était possible et autant qu’il serait possible avec l’aide de Dieu, rendre à notre intelligence un compte exact et réfléchi de ce que nous en croyions déjà par notre soumission à l’autorité divine. Et comme après avoir profondément débattu la question, il demeura constant pour nous que le mal ne provenait que du libre arbitre de la volonté, les trois livres qui furent le produit de ce débat s’intitulèrent du Libre Arbitre. C’est en Afrique, et étant déjà ordonné prêtre à Hippone, que j’ai terminé le second et le troisième comme je l’ai pu alors.

2. Parmi les nombreux sujets que traitent ces livres, plusieurs questions incidentes, que je ne pouvais résoudre ou qui auraient demandé alors de plus longs développements, sont renvoyées : toutefois de chaque côté et sur tous les points de ces questions où l’on ne découvrait pas ce qui était le plus en harmonie avec la vérité, notre raisonnement concluait que, quelle que fût cette vérité, il fallait croire ou même il était démontré que Dieu doit en être béni. Le débat, en effet, fut entrepris à l’occasion de ceux qui nient que l’origine du mal se trouve dans le libre arbitre et qui soutiennent que, s’il en est ainsi, on doit accuser Dieu, le créateur de toutes les natures ; ils veulent de cette manière, dans les aberrations de leur impiété (car ce sont les Manichéens), faire intervenir une sorte de nature du mal, coéternelle à Dieu et immuable comme Lui. Quant à la grâce par laquelle Dieu a prédestiné ses élus et prépare les volontés de ceux qui parmi eux jouissent déjà de leur libre arbitre, il n’en a point été traité dans ces livres, la question n’étant pas là précisément. Mais lorsqu’il y a eu lieu de faire mention de cette grâce, on l’a rappelée en passant et non pas comme s’il s’agissait de la défendre par une argumentation approfondie. Autre chose est, en effet, de rechercher d’où vient le mal ; autre chose, de rechercher par où l’on retourne au bien primitif et par où l’on arrive à un plus grand.

3. Ainsi donc, que les Pélagiens, ces nouveaux hérétiques qui affirment le libre arbitre au point de ne plus laisser place à la grâce de Dieu, puisqu’ils prétendent que cette grâce est donnée selon nos mérites ; que les Pélagiens ne s’exaltent pas comme si j’avais soutenu leur cause, en disant du libre arbitre beaucoup de choses qu’exigeait la nature de cette discus-

  1. C. IV, n. 4.
  2. Luc, XV, 18.
  3. C. XXVIII, n. 55.