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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

des héros. La doctrine des Hébreux, reproduite par les Perses, établissait de bons et de mauvais anges, tout à fait distincts des âmes, et formant une hiérarchie de puissances médiatrices entre Dieu et l’homme. Cette doctrine devint celle du christianisme. Plotin s’y attacha ; elle avait cours dans la plupart des écoles du néoplatonisme. La philosophie de Platon reçoit son expression dans Plotin avec les différences que lui impose l’influence chrétienne de son temps.

Platon s’était montré comme le sage de la cité, vivant au milieu des hommes, régis par des lois et des institutions. Plotin parut quand le crucifiement de la chair sur le Calvaire avait révélé au monde de nouveaux devoirs, quand le mépris des sens faisait le fond d’une religion qui se prêchait partout avec un succès inouï, quand le goût du désert saisissait violemment les âmes et que, de toutes parts, les hommes ne demandaient qu’à quitter les choses périssables, à s’enfuir de la vie. Il représenta dans ses idées et aussi dans ses habitudes et ses mœurs cet enthousiasme sévère qui ne tenait aucun compte du corps et dédaignait les joies du monde visible. Plotin, c’est Platon ermite. Comme s’il se fût déclaré étranger au temps et à la terre, il ne voulut jamais dire son âge ni son pays ; il refusa toujours de laisser faire son portrait, trouvant misérable de s’attacher à l’image de ce qui devait tomber en poussière. Plotin soumit ses jours à une dure abstinence. Il y eut toutefois en lui plus d’orgueil que de vertu. La vie cénobitique, si merveilleusement pratiquée par les chrétiens, surtout en Orient, étonnait les intelligences comme un spectacle extraordinaire ; elle gênait les prétentions superbes du néoplatonisme qui, lui aussi, s’était mis à prêcher le mépris de la chair, mais ne fondait rien sur le renoncement et les sacrifices volontaires. Plotin eut l’idée d’une communauté, d’une association de philosophes ; il obtint de l’empereur Gallien un territoire, en Campanie, pour y construire une cité qui se serait nommée Platonopolis, en souvenir du beau génie qu’on ne cessait d’interroger et d’invoquer ; les détails nous manquent sur ces colons philosophes épris tout à coup d’amour pour un régime idéal ; nous savons seulement que la tentative ne réussit pas.

Cette philosophie eut pour principal continuateur Porphyre, plus savant, plus clair et plus lettré que Plotin, son maître. Porphyre entendit les leçons de Longin et d’Origène. Fut-il d’abord chrétien comme l’ont pensé quelques écrivains et saint Augustin lui-même ? Nous n’affirmerons rien ; il est au moins certain que Porphyre connut nos livres sacrés ; il les repoussa et Dieu le punit en le laissant tomber dans les plus grossières erreurs et les superstitions les plus misérables.

Après Porphyre, l’école plotinienne nous montre Jamblique, le biographe de Pythagore, qui, voulant rendre vénérables ses doctrines, leur donna pour aïeux Zoroastre, Hermès et Orphée. Les écoles d’Orient, au quatrième siècle, retentissaient de ses enseignements ; ils allaient se corrompant par la décadence même de l’ancienne société.

Dans cette dernière moitié du quatrième siècle, témoin de la conversion d’Augustin, le néoplatonisme n’a pas de grands interprètes ; il règne sans beaucoup d’éclat à Athènes avec Prohérésius, qui compta au nombre de ses disciples Eunape, le curieux biographe des philosophes et des sophistes ; avec Diophante, qui vit autour de sa chaire Libanius ; avec Plutarque, le commentateur des trois livres d’Aristote sur l’âme, auquel devait succéder Syrianus. Lorsque le fils de Monique élevait ses jeunes amis à la contemplation des vérités philosophiques, Syrianus n’était qu’un petit enfant jouant à Alexandrie ; ce philosophe, qui entreprit de mettre d’accord Orphée, Pythagore et Platon, fut le maître de Proclus, dont les travaux retentissent dans le cinquième siècle : une appréciation de ses travaux nous jetterait hors de notre cadre. Le contemporain d’Augustin, le plus-considérable dans la philosophie païenne, c’est Themistius, plus sophiste que philosophe, mais très-digne d’obtenir ici un souvenir. Un de ses disciples, Grégoire de Nazianze, dans un mouvement de politesse gracieuse et reconnaissante, l’appelle le roi de l’éloquence. Themistius, sénateur et puis préfet de Constantinople, ami du grand Théodose, panégyriste de sept empereurs, vêtu des dépouilles d’Homère et de Platon, commentateur d’Aristote et profondément instruit dans les traditions philosophiques, loué par Socrate et Sozomène, se présente à nous comme un exemple de ce que pouvait sur un païen honnête homme l’influence des relations chrétiennes.

Mais si nous observons, dans son caractère le plus général, la philosophie païenne à l’époque d’Augustin, en dehors de quelques rares apti-