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chapitre quatrième.

répond qu’il s’inquiète peu du jugement de ceux qui lisent les livres avec aussi peu de réflexion qu’on salue un homme. — S’il arrive, par hasard, dit Augustin à sa mère, que mes livres tombent entre les mains de quelques hommes, et qu’après y avoir lu mon nom et demandé qui est celui-là, ils ne les rejettent pas bien vite ; si, ne méprisant point la simplicité du vestibule, ils pénètrent plus avant, poussés par le désir d’apprendre ou par la curiosité, peut-être ces hommes ne s’offenseront pas de me voir philosopher avec vous, et ne dédaigneront aucun de ceux dont les sentiments se trouvent consignés dans mes écrits.

Augustin ajoute que les amis qui confèrent avec lui sont libres et de haute origine, ce qui suffit et au delà pour avoir le droit de cultiver les lettres et surtout la philosophie. Des artisans de la condition la plus vile se sont mêlés de philosophie ; riches des lumières de leur esprit et de leurs vertus, ils n’auraient pas échangé leurs trésors intérieurs contre toute l’opulence et toutes les grandeurs de la terre.

Chez les anciens, poursuit Augustin en s’adressant à sa mère, il y a eu des femmes qui se sont livrées à l’étude de la philosophie, et votre philosophie me plaît beaucoup. Car, pour ne pas vous le laisser ignorer, ma mère, ce qu’on appelle en grec Philosophie, s’appelle en latin Amour de la Sagesse. C’est pourquoi les divines Écritures, que vous aimez si ardemment, ne commandent pas de fuir et de dédaigner absolument toutes sortes de philosophes, mais seulement les philosophes de ce monde. Or il est un autre monde bien éloigné des sens, et qui n’est aperçu que par l’intelligence de quelques âmes pures. Jésus-Christ l’a fait assez comprendre ; car il n’a pas dit : Mon royaume n’est pas du monde, mais mon royaume n’est pas de ce monde. Croire qu’il faut renoncer à toute sorte de philosophie, ce serait nous empêcher d’aimer la sagesse. Je ne tiendrais aucun compte de vous dans ces mémoires, si vous n’aimiez pas la sagesse ; je ne vous dédaignerais pas, si vous l’aimiez médiocrement ; mais je sais que vous l’aimez encore plus que vous ne m’aimez moi-même, et je sais combien vous m’aimez ! Vous êtes si avancée dans la science divine, que vous n’êtes effrayée ni par la crainte d’aucun événement fâcheux, ni par l’horreur de la mort, ce qui annonce, de l’aveu de tous les hommes, qu’on a pénétré jusqu’au centre de la philosophie ; pourrais-je, après cela, hésiter à devenir moi-même votre disciple ? »

Monique répond à son fils, avec un sourire modeste, que de sa bouche viennent de sortir plus de mensonges qu’il n’en a jamais proféré.

Cette scène, ce discours d’Augustin à sa mère au milieu de la jeune académie, et la réponse de Monique ont un charme que notre lecteur ne peut manquer de sentir comme nous.

Augustin avait la poitrine fatiguée ; les tablettes étaient remplies ; on s’arrêta là. Comme on s’en allait des bains : « Voyez, dit Licentius à Augustin, voyez que de vérités essentielles nous apprenons de vous, sans que vous vous en doutiez vous-même, et qui nous sont découvertes par l’ordre impénétrable et divin dont, nous parlons. — Je le vois, répondit Augustin, et je n’en suis pas ingrat envers Dieu. J’espère que vous, qui le reconnaissez si bien, vous en deviendrez plus parfaits. » Le maître s’abstint de toute parole le reste de la journée.