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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.


CHAPITRE CINQUIÈME.




Suite des livres de l’Ordre. — Le livre de la Vie bienheureuse. — Les deux livres des Soliloques. Le livre de l’immortalité de l’âme. — Correspondance.

(386.)

Alype et Navigius sont de retour à Cassiacum. Un matin, le soleil se lève dans toute sa magnificence ; la beauté du ciel est accompagnée d’un air aussi doux que puisse l’offrir l’hiver en Italie. Augustin et ses amis descendent à la prairie ; Monique est avec eux. Les voilà tous assis au pied de l’arbre qui a tant de fois entendu les paroles de ces jeunes et pieux chercheurs des vérités immortelles.

On examine la question de savoir ce que c’est que d’être avec Dieu. Augustin avait dit ; celui-là est avec Dieu, qui le connaît. Licentius avait soutenu que ce qui est avec Dieu est dans un repos inaltérable. L’esprit qui comprend Dieu ne perdra pas son repos, parce qu’il sera lié à un corps mobile et vagabond ; il est avec le corps comme un homme avec. un navire en mer ; l’homme peut rester immobile dans un vaisseau lancé à travers les vagues. Nous assistons ensuite à un entretien grave, élevé, bien nourri, sur les contrastes et les désordres apparents qui n’empêchent pas la soumission des choses terrestres et humaines à un ordre invariable et providentiel. C’est Augustin qui fait à peu près tous les frais de cet entretien. Un jeune serviteur annonce que le dîner est prêt ; il est venu en courant ; sa course se présente comme une définition du mouvement dont on s’occupait à ce moment même.

Après le dîner, des nuages couvrent le ciel ; au lieu de retourner à la prairie, on va aux bains pour converser avec plus de sûreté.

La discussion est reprise. On essaye de pénétrer dans les profondeurs de la question de l’existence du mal. Augustin renverse par quelques arguments les bases du manichéisme. La question du bien et du mal, mêlée à la question de l’ordre, paraissait surpasser l’intelligence de ses interlocuteurs ; Augustin se met à leur expliquer des vérités morales. Il trace des règles de conduite pour les jeunes gens qui veulent étudier la sagesse, et marque le procédé qu’il faut suivre. Il expose brièvement, mais admirablement, les devoirs de l’homme. Comme l’âme s’égare, dit Augustin, en se répandant sur les choses périssables, ainsi elle se retrouve en s’unissant à la raison. Ce que l’homme a de plus raisonnable le sépare de la bête ; ce qu’il a de mortel le sépare de Dieu. Si l’âme ne s’attache pas à la raison, elle tombera dans la condition de la brute ; si elle ne se détache pas de la mortalité, elle ne sera jamais divine.

Les oreilles et les yeux sont les courriers de l’esprit pour les besoins du corps.

Augustin passe en revue les choses où éclate la raison humaine. Dans les œuvres d’art, la raison c’est la proportion des parties. Le maître, en quelques pages rapides, énumère et caractérise les sciences et les lettres inventées par la raison. S’adressant ensuite à sa mère : « Ces vérités, lui dit-il, dont la connaissance est nécessaire pour parvenir au bien que nous cherchons, ne doivent pas vous effrayer, ô ma mère ! elles ne doivent pas vous paraître comme une immense forêt de choses impénétrables. Dans ce nombre il suffit d’en choisir quelques-unes d’une efficacité puissante, mais dont la compréhension est difficile, il est vrai, pour l’entendement de la plupart des hommes ; cette difficulté n’en sera pas une pour vous dont le génie m’est tous les jours nouveau, et en qui l’expérience me fait découvrir une admirable modération, un esprit entièrement éloigné de toute occupation frivole, et gaie son dégagement des faiblesses humaines a placé si haut ! Ces connaissances vous seront aussi faciles qu’elles le seront peu à ceux qui vivent sous le poids de leurs misères. Si je disais que vous parviendrez à exprimer vos sentiments et vos pensées dans un langage irréprochable, j’avoue que je mentirais, puisque