Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/431

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Qui a donc semé et planté en moi ce grain d’amertume, moi dont tout l’être est venu de mon Dieu, souverainement doux. Si le diable en est l’auteur, d’où lui-même est-il le diable ? Que si, par la malice de sa volonté, d’ange il est devenu démon, d’où lui est venue cette volonté mauvaise qui l’a fait diable, lui que son créateur, souverainement bon, avait fait ange de bonté ? Et ces pensées étaient un poids mortel qui me coulait à fond, mais toutefois je ne descendais pas jusqu’au gouffre d’horreur, où l’on ne vous confesse plus, où l’on vous soumet au mal pour ne pas reconnaître le crime de l’homme.

Chapitre IV, Dieu étant le souverain bien est nécessairement incorruptible.

6. Je faisais donc tous mes efforts pour découvrir le reste, comme j’avais déjà découvert que l’incorruptible est meilleur que le corruptible, vous reconnaissant ainsi, qui que vous fussiez, pour incorruptible. Car jamais esprit n’a pu et ne pourra concevoir rien de meilleur que vous, suprême et souverain Bien. Or, comme il est d’évidente certitude que l’incorruptible est préférable au corruptible, préférence qui alors même ne me semblait pas douteuse, j’aurais pu saisir par la pensée quelque chose de meilleur que mon Dieu, si— lui n’eût été l’incorruptible.

Ainsi persuadé de la prééminence de l’incorruptible sur le corruptible, c’est dans cette excellence que je devais vous chercher ; c’est par là que je devais concevoir d’où procède le mal, c’est-à-dire la corruption même, qui ne peut nullement atteindre votre substance, car la corruption n’a aucune prise sur notre Dieu, ni par sa volonté, ni par la nécessité, ni par survenance fortuite, parce qu’il est Dieu, qu’il ne veut que le bien, et qu’il est lui-même le bien essentiel, et que se corrompre n’est plus de l’essence du bien. Et rien ne vous contraint d’agir malgré vous, parce que votre volonté n’est pas plus grande que votre puissance ; et pour qu’elle le fût, il faudrait que vous fussiez plus grand que vous-même, car la volonté, car la puissance de Dieu, c’est Dieu même. Et qui peut vous surprendre, vous qui connaissez tout ; rien ne pouvant exister que par votre connaissance ? Et faut-il tant s’arrêter à chercher pourquoi cette substance, qui est Dieu, est incorruptible, puisque si elle ne l’était pas, elle ne serait pas Dieu ?

Chapitre V, Ses doutes sur l’origine du mal.

7. Et je cherchais la source du mal, et je la cherchais mal, et je n’apercevais pas le mal de ma recherche même, et je faisais comparaître aux regards de mon esprit la création universelle, et tout ce qui est visible dans son étendue, la terre, la mer, l’air, les astres, les plantes et les animaux mortels ; et tout ce qui est invisible, comme le firmament, les anges et les substances spirituelles ; et mon imagination les distribuait en divers lieux comme des êtres corporels. Et je faisais de votre création une grande masse que je classais par espèces de corps, ou réels, ou que mon erreur substituait aux esprits. Et cette masse, je me la représentais immense, non pas selon son immensité réelle qu’il m’était impossible d’atteindre, mais selon les seules limites que lui assignait mon imagination. Et je me la représentais, Seigneur, de toutes parts environnée et pénétrée de votre essence ; et je me figurais une mer sans fond et sans rivage, solitaire dans l’infini, qui contiendrait une éponge d’une immensité finie, et toute pleine de l’immense mer.

Ainsi je croyais vos créatures finies, pleines de votre infini, et je me disais : Voici Dieu, voilà ses créatures, Dieu bon, infiniment meilleur qu’elles, mais dont la bonté n’a pu les faire que bonnes, et c’est ainsi qu’il les environne et les remplit. Où est donc le mal, d’où vient-il, et par où s’est-il glissé ? quelle est sa racine ? quel est son germe ? Mais peut-être, n’est-il pas. Pourquoi donc redoutons-nous, pourquoi fuyons-nous ce qui n’est pas ? Et si notre crainte est vaine, cette crainte même est un mal ; c’est un mal que ce néant qui so1licite et tourmente notre cœur, mal d’autant plus pénible, qu’avec moins de sujet de craindre il nous livre à la crainte. Ainsi donc, ou nous avons la crainte du mal, ou nous avons le mal de la crainte.

Et d’où vient cela ? Car Dieu tout bon n’a rien fait que de bon Bien souverain, ses créatures, il est vrai, ne sont que des participations diminuées de sa bonté ; mais, toutefois, Créateur et créatures, tout est bon. D’où procède enfin le mal ? Est-ce de la matière, qu’il a mise en œuvre ? Elle recélait peut-être (419) lorsqu’