Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/444

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vos œuvres parfaites chacune en son temps ? Grand Dieu ! que vous êtes sublime dans les hauteurs et profond dans les abîmes ! Vous n’êtes jamais loin, et pourtant quelle peine pour retourner à vous !

Chapitre IV, Pourquoi les conversions célèbres doivent inspirer une joie plus vive.

9. Agissez, Seigneur, faites ; réveillez-nous, rappelez-nous ; embrasez et ravissez ; soyez flamme et douceur ; aimons, courons. Combien reviennent à vous d’un enfer d’aveuglement plus profond que Victorinus, et s’approchent, et reçoivent le rayon de votre lumière ? Et ils ne le reçoivent qu’avec le pouvoir de devenir enfants de Dieu ( 1 Jean, I, 9, 12). Mais, moins connus du monde, la joie de leur retour est moins vive, même en ceux qui les connaissent. La joie générale est individuellement plus féconde ; le feu gagne au contact, et la flamme s’élance. Et puis, les hommes connus de plusieurs autorisent et devancent de plus nombreuses conversions. C’est pourquoi leurs prédécesseurs mêmes se livrent à cette joie de prosélytisme qui en prévoit de nouvelles.

Car, loin de ma pensée que, sous votre tente, le riche ait la préséance sur le pauvre, et le puissant sur le faible, puisque vous avez fait choix des plus faibles pour confondre les forts ; et des objets du monde les plus vils et les plus méprisables, et de ce qui est comme n’étant pas, pour anéantir ce qui est ( I Cor. I, 27, 28). Et cependant, le moindre de vos apôtres ( Ibid. XV, 9), dont la voix a fait entendre cet oracle de votre sagesse, vainqueur de l’orgueil du proconsul Paul, qu’il fit passer sous le joug de douceur de votre Christ et enrôla sous les drapeaux du plus grand des rois, cet apôtre de Saul voulut s’appeler Paul (Act. XIII, 7, 12), en souvenir, de cet éclatant triomphe. Car l’ennemi est plus glorieusement vaincu dans celui qu’il possède avec plus d’empire, et par qui il en possède plusieurs. Il tient les grands par l’orgueil de leur renommée, et le vulgaire par l’autorité de leurs exemples.

Or, plus on aimait à se figurer le cœur de Victorinus comme une citadelle inexpugnable où Satan s’était renfermé, et sa langue comme un dard fort et acéré, dont il avait tué tant d’âmes, plus l’enthousiasme de vos enfants dut éclater, en voyant le fort enchaîné par notre Roi (Matth. XII, 29) ; ses vases conquis purifiés, consacrés à votre culte, et devenus les instruments du Seigneur pour toute bonne œuvre (II Tim. II, 21).

Chapitre V, Tyrannie de l’habitude.

10. L’homme de Dieu m’avait fait ce récit de Victorinus, et je brûlais déjà de l’imiter. Telle avait été l’intention de Simplicianus. Et quand il ajouta qu’au temps de l’empereur Julien où un édit défendit aux chrétiens d’enseigner les lettres et l’art oratoire, Victorinus s’était empressé d’obéir à cette loi, désertant l’école de faconde plutôt que votre Verbe, qui donne l’éloquence à la langue de l’enfant (Sag. X, 21), il ne me parut pas moins heureux que fort d’avoir trouvé tant de loisir pour vous.

C’est après un tel loisir que je soupirais, non plus dans les liens étrangers, mais dans les fers de ma volonté. Le démon tenait dans sa main mon vouloir, et il m’en avait fait une chaîne, et il m’en avait lié. Car la volonté pervertie fait la passion ; l’asservissement à la passion fait la coutume ; le défaut de résistance à la coutume fait la nécessité. Et ces nœuds d’iniquité étaient comme les anneaux de cette chaîne dont m’enlaçait le plus dur esclavage. Cette volonté nouvelle qui se levait en moi de vous servir sans intérêt, de jouir de vous, mon Dieu, seule joie véritable, cette volonté était trop faible pour vaincre la force invétérée de l’autre. Ainsi deux volontés en moi, une vieille, une nouvelle, l’une charnelle, l’autre spirituelle, étaient aux prises, et cette lutte brisait mon âme.

11. Ainsi ma propre expérience me donnait l’intelligence de ces paroles : « La chair convoite « contre l’esprit et l’esprit contre la chair (Galat. V, 17). » De part et d’autre, c’était toujours moi ; mais il avait plus de moi dans ce que j’aimais que dans ce que je haïssais en moi. Là, en effet, il n’y avait déjà presque plus de moi, car je le souffrais plutôt contre mon gré que je ne le faisais volontairement. Et cependant la coutume s’était par moi aguerrie contre moi, puisque ma volonté m’avait amené où je ne voulais pas Et de quel droit eussé-je protesté contre le juste châtiment inséparable de mon péché ? Et je n’avais plus alors l’excuse qui me faisait attribuer mon impuissance à mépriser le (432) siècle