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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/443

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c’était l’usage de le proposer aux personnes qu’une solennité publique pouvait intimider ; mais lui aima mieux professer son salut en présence de la multitude sainte. Car ce n’était pas le salut qu’il enseignait dans ses leçons d’éloquence, et pourtant il avait professé publiquement. Et combien peu devait-il craindre de prononcer votre parole devant l’humble troupeau, lui qui ne craignait pas tant d’insensés auditeurs de la sienne ?

Il monta ; son nom, répandu tout bas par ceux qui le connaissaient, éleva dans l’assemblée un murmure de joie. Et de qui, dans cette enceinte, n’était-il pas connu ? Et la voix contenue de l’allégresse générale frémissait : Victorinus ! Victorinus ! Un transport soudain, à sa vue, avait rompu le silence, le désir de l’entendre le rétablit aussitôt. Il prononça le symbole de vérité avec une admirable foi, et tous eussent voulu l’enlever dans leur cœur ; et tous l’y portaient dans les bras de leur joie et de leur amour.

Chapitre III, D’où vient que — l’on ressent tant de joie de la conversion des pécheurs.

6. Dieu de bonté, que se passe-t-il dans l’homme pour qu’il ressente plus de joie du saint d’une âme désespérée et de sa délivrance d’un plus grand péril, que s’il eût toujours bien espéré d’elle, ou que le péril eût été moins grand ? Et vous aussi, Père des miséricordes, vous vous réjouissez plus d’un seul pénitent que de quatre-vingt-dix-neuf justes qui a’ont pas besoin de pénitence. Et nous, c’est avec une consolante émotion que nous apprenons que le bon pasteur rapporte sur ses épaules, à la joie des anges, la brebis égarée ; et que la drachme est rendue à votre trésor par la femme qui l’a retrouvée, et dont les voisines partagent le contentement. Et les solennelles réjouissances de votre maison font rouler des larmes dans les yeux qui ont lu que « votre Fils était mort, et qu’il est ressuscité, qu’il était perdu, et qu’il est retrouvé (Luc, XV.) » Vous vous réjouissez en nous et en vos anges, sanctifiés par votre charité sainte. Car vous, toujours le même, vous avez toujours la même connaissance de ce qui n’est, ni toujours, ni le même.

7. Que se passe-t-il donc dans l’âme qui lui fait trouver plus de joie à la recouvrance qu’en la possession continuelle de ce qu’elle aime ? Tout l’atteste, tout est plein de témoignages qui nous crient : Il est ainsi. Un empereur victorieux triomphe, et il n’eût vaincu s’il n’eût combattu. Et plus a-été grand le péril au combat, plus vive est l’allégresse dans le triomphe. Un vaisseau est battu de la tempête, le naufrage est imminent ; les matelots pâlissent aux portes de la mort : le ciel et la mer s’apaisent ; l’excès de la joie naît de l’excès de la crainte. Une personne aimée est malade, son pouls est de mauvais augure ; tous ceux qui désirent sa guérison sont malades de cœur : elle est sauvée, mais elle n’a pas encore recouvré ses forces pour marcher, et déjà c’est un bonheur tel qu’il n’en fut jamais lorsqu’elle jouissait de toute la vigueur de la santé.

Et les plaisirs mêmes de cette vie, ce n’est point seulement par les contrariétés qui surprennent notre volonté, mais encore au prix de certaines peines étudiées et volontaires, que nous les achetons. La volupté du boire et du manger n’existe qu’en tant que précédée de l’angoisse de la faim et de la soif. Et les ivrognes cherchent dans des aliments salés une irritation dont la boisson, qui l’apaise, fait un plaisir. Et la coutume veut que l’on diffère de livrer une fiancée, de peur que l’époux ne dédaigne la main que ses soupirs n’auraient pas longtemps attendue.

8. Ainsi, et dans l’abomination des voluptés humaines, et dans les plaisirs licites et permis, et dans la sincérité d’une amitié pure, et dans ce retour de l’enfant « qui était mort et qui est « ressuscité, qui était perdu et qui est retrouvé (Luc XV, 24, 32), toujours une grande joie est précédée d’un aiguillon douloureux. Quoi donc ! Seigneur mon Dieu, vous êtes à vous-même votre éternelle joie ; quelques êtres, autour, de vous, se réjouissent éternellement de vous, et cette partie du monde souffre une continuelle alternative de défaillance et d’accroissement, de guerre et de paix ? Est-ce la condition de son être ? est-ce ainsi que vous l’avez fait, quand, depuis les hauteurs des cieux jusqu’aux profondeurs de la terre, depuis le commencement jusqu’à la fin des siècles, depuis l’ange jusqu’au vermisseau, depuis le premier des mouvements jusqu’au dernier, vous avez placé toute sorte de biens, chacun en son lieu, et (431) réglé