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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/449

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aux flux et reflux de ses volontés.

24. Qu’ils n’osent donc plus dire, en voyant dans un seul homme deux volontés aux prises, que ce sont deux esprits contraires, émanés de deux substances contraires, et deux principes contraires ; deux antagonistes, l’un bon, l’autre mauvais. Car vous, Dieu de vérité, vous les improuvez, vous les réfutez, vous les confondez. Et de même, dans deux volontés mauvaises, quand un homme délibère s’il ôtera la, vie à son semblable par le fer ou le poison ; s’il usurpera tel héritage ou tel autre, ne pouvant les usurper tous deux ; s’il écoutera la luxure qui achète la volupté, ou l’avarice qui sarde l’argent ; s’il ira au cirque ou au théâtre, ouverts le même jour ; ou bien, nouvelle indécision, s’il entrera dans cette maison faire un larcin auquel l’occasion le convie ; ou bien, autre incertitude, y commettre un adultère dont il trouve la facilité ; et si toutes ces circonstances concourent dans le même instant, si toutes ces volontés se pressent dans le même désir, ne pouvant s’accomplir à la fois, l’esprit n’est-il pas déchiré par cette querelle intestine de quatre volontés, plus encore, que sollicitent tant d’objets de convoitise ? Et pourtant ils ne calculent pas une telle quantité de substances différentes.

Et de même des volontés bonnes. Car je leur demande s’il est bon de se plaire à la lecture de l’Apôtre, au chant d’un saint cantique, s’il est bon d’expliquer l’Evangile ? A chaque demande, même réponse : oui. Mais si tous ces pieux exercices nous plaisent également, au même instant, le cœur de l’homme n’est-il pas distendu par cette diversité de volonté qui délibèrent sur l’objet à saisir de préférence ? Et ces volontés sont bonnes, et elles se combattent jusqu’à ce que soit déterminé le point où se porte une et entière cette volonté qui se divisait en plusieurs.

Ainsi, lorsque l’éternité nous élève à ses sublimes délices, et que le plaisir d’un bien temporel nous rattache ici-bas, c’est une même âme qui veut l’un ou l’autre, mais d’une demi-volonté ; et de là ces épines qui la déchirent quand la vérité détermine une préférence qui ne peut vaincre l’habitude.

Chapitre XI, Derniers combats.

25. Ainsi je souffrais et je me torturais, m’accusant moi-même avec une amertume inconnue, me retournant et me roulant dans mes liens, jusqu’à ce j’eusse rompu tout entière cette chaîne qui ne me retenait plus que par un faible anneau, mais qui me retenait pourtant. Et vous me pressiez, Seigneur, au plus secret de mon âme, et votre sévère miséricorde me flagellait à coups redoublés et de crainte et de honte, pour prévenir une langueur nouvelle qui, retardant la rupture de ce faible et dernier chaînon, lui rendrait une nouvelle force d’étreinte.

Car je me disais au dedans de moi : Allons ! allons ! point de retard ! Et mon cœur suivait déjà ma parole ; et j’allais agir, et je n’agissais pas. Et je ne retombais pas dans l’abîme de ma vie passée, mais j’étais debout sur le bord, et je respirais. Et puis je faisais effort, et pour arriver, atteindre, tenir, de quoi s’en fallait-il ? Et je n’arrivais pas, et je n’atteignais pas, et je ne tenais rien ; hésitant à mourir à la mort, à vivre à la vie, je me laissais dominer plutôt par le mal, ce compagnon d’enfance, que par ce mieux étranger. Et plus l’insaisissable instant où mon être allait changer devenait proche, plus il me frappait d’épouvante ; ni ramené, ni détourné, pourtant, mon pas était suspendu.

26. Et ces bagatelles de bagatelles, ces vanités de vanités, mes anciennes maîtresses, me tiraient par ma robe de chair, et me disaient tout bas : Est-ce que tu nous renvoies ? Quoi ! dès ce moment, nous ne serons plus avec toi, pour jamais ? Et, dès ce moment, ceci, cela, ne te sera plus permis, et pour jamais ? Et tout ce qu’elles me suggéraient dans ce que j’appelle ceci, cela, ce qu’elles me suggéraient, ô mon Dieu ! que votre miséricorde l’efface de l’âme de votre serviteur ! Quelles souillures ! quelles infamies ! Et elles ne m’abordaient plus de front, querelleuses et hardies, mais par de timides chuchotements murmurés à mon épaule, par de furtives attaques ; elles sollicitaient un regard de mon dédain. Elles me retardaient toutefois dans mon hésitation à les repousser, à me débarrasser d’elles pour me rendre où j’étais appelé. Car la violence de l’habitude me disait : Pourras-tu vivre sans elles ?

27. Et déjà elle-même ne me parlait plus (437) que