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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/488

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Chapitre IV, Le ciel et la terre nous crient qu’ils ont été créés.

6. Et voilà donc le ciel et la terre ! Ils sont. Ils crient qu’ils ont été faits ; car ils varient et changent. Or ce qui est, sans avoir été créé, n’a rien en soi qui précédemment n’ait point été ; caractère propre du changement et de la vicissitude. Et ils ne se sont pas faits ; leur voix nous crie : C’est parce que nous avons été faits que nous sommes ; nous n’étions donc pas, avant d’être, pour nous faire nous-mêmes. L’évidence est leur voix. Vous les avez donc créés, Seigneur ; vous êtes beau, et ils sont beaux ; vous êtes bon, et ils sont bons ; vous êtes, et ils sont. Mais ils n’ont ni la beauté, ni la bonté, ni l’être de la même manière que vous, ô Créateur ; car, auprès de vous, ils n’ont ni beauté, ni bonté, ni être. Nous savons cela grâce à vous ; et notre science, comparée à la vôtre, n’est qu’ignorance.

Chapitre V, L’univers créé de rien.

7. Comment donc avez-vous fait le ciel et la terre ? et quelle machine avez-vous appliquée à cette construction sublime ? L’artiste modèle un corps sur un autre, suivant la fantaisie de l’âme qui a la puissance de réaliser l’idéal que l’œil intérieur lui découvre en elle. Et d’où lui viendrait ce pouvoir, si elle-même n’était votre ouvrage ?

L’artisan façonne une matière préexistante, ayant en soi de quoi devenir ce qu’il la fait, comme la terre, la pierre, le bois ou l’or, etc. Et d’où ces objets tiennent-ils leur être, si vous n’en êtes le créateur ? C’est vous qui avez créé le corps de l’ouvrier, et l’esprit qui commande à ses organes ; vous êtes l’auteur de cette matière qu’il travaille, de cette intelligence qui conçoit l’art, et voit en elle ce qu’elle veut produire au dehors ; de ces sens interprètes fidèles qui font passer dans l’ouvrage les conceptions de l’âme, et rapportent à l’âme ce qui s’est accompli, afin qu’elle consulte la vérité, juge intérieur, sur la valeur de l’ouvrage. Toutes ces créatures vous glorifient, et vous proclament le Créateur du monde.

Mais vous, comment les avez-vous faites ? comment avez-vous fait le ciel et la terre ? O Dieu ! Ce n’est ni sur la terre, ni dans le ciel, que vous avez fait le ciel et la terre ; ni dans les airs, ni dans les eaux qui en dépendent. Ce n’est pas dans l’univers que vous avez créé l’univers ; où pouvait-il être, pour être créé, avant d’être créé pour être ? Et vous n’aviez rien aux mains qui vous fût matière du ciel et de la terre. Eh ! d’où vous serait venue cette matière, que vous n’eussiez pas créée pour en former votre ouvrage ? Que dire, enfin, sinon que cela est, parce que vous êtes ? Et vous avez parlé, et cela fut, et votre seule parole a tout fait (Ps. XXXII, 9, 6).

Chapitre VI, Comment Dieu a parlé.

8. Mais quelle a été cette parole ? S’est-elle formée comme cette voix descendue de la nue : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé(Matth. III, 17 ; XVII, 5) ? » Cette voix retentit et passe ; elle commence et finit ; ses syllabes résonnent et s’évanouissent, la seconde après la première, la troisième après la seconde, ainsi de suite, jusqu’à la dernière, et le silence après elle. Il est donc évident et clair que cette voix fut l’expression d’une créature, organe temporel de votre éternelle volonté. Et l’oreille extérieure transmet ces paroles, formées dans le temps, à l’âme intelligente dont l’oreille intérieure s’approche de votre Verbe éternel. Et l’âme a comparé ces accents fugitifs à l’éternité silencieuse de votre Verbe, et elle s’est dit : « Quelle différence ! les uns sont infiniment au-dessous de moi ; ils ne sont même pas, car ils fuient, car ils passent ; mais au-dessus de moi, le Verbe de mon Dieu demeure éternellement (I Pierre, I, 25). »

Que si vous avez commandé par des paroles passagères comme leur son l’existence du ciel et de la terre ; si c’est ainsi que vous les avez faits, il y avait donc déjà, avant le ciel et la terre, quelque créature corporelle, dont l’acte mesuré par le temps fit vibrer cette voix dans la mesure du temps. Or, nulle substance corporelle n’était avant le ciel et la terre ; ou, s’il en existait une, il faut reconnaître que vous aviez formé sans parole successive l’être qui devait articuler votre commandement : Que le ciel et la terre soient. Car cet organe de vos desseins, quel qu’il fût, ne pouvait être, si vous ne l’eussiez fait. Or, pour produire le corps dont ces paroles devaient sortir, de quelle parole vous êtes-vous servi ? (476)