très-subtils aient jugé impossible de rien connaître, les intelligences se laissent aller et se ferment éternellement. On n’osera pas se croire plus pénétrant que ces philosophes, ni se vanter d’avoir trouvé ce qui a échappé à la grande étude, au génie, aux loisirs, au savoir vaste et varié de Carnéade pendant une longue vie. Si ces esprits paresseux se décident, par un effort, à lire les ouvrages qui semblent refuser à la nature humaine la faculté de connaître la vérité, ils retombent aussitôt dans un assoupissement si profond que la trompette céleste ne peut les éveiller.
3. Votre jugement au sujet de mes petits livres[1], m’est très-agréable, et telle est mon opinion sur vous, que je ne crois pas votre sagesse capable de se tromper ni votre amitié capable de feindre ; c’est pourquoi je vous demande de voir soigneusement et de m’écrire si vous approuvez ce que j’ai dit, à la fin du troisième livre, plutôt par conjecture qu’avec certitude, mais pourtant, je pense, avec plus d’utilité que de motifs de n’y pas croire. Quoi qu’il en soit de ce que j’ai écrit, ce qui me plaît surtout, ce n’est pas d’avoir vaincu les académiciens, ainsi que l’amitié, plus peut-être que la vérité, vous le fait dire, c’est d’avoir brisé le lien qui m’empêchait de m’approcher des mamelles de la philosophie, et d’avoir triomphé du désespoir de trouver le vrai, cette pâture de l’esprit[2].
LETTRE II.
AUGUSTIN À ZÉNOBE
Il est, je crois, bien entendu entre nous que ce que les sens peuvent atteindre ne saurait rester un seul moment dans le même état, mais que tout cela passe et s’écoule sans durée permanente, et pour parler comme les Latins, n’a point d’être. Aussi la véritable et divine philosophie nous enseigne à modérer et à assoupir le très-funeste amour de ces biens visibles si remplis de peines, afin que l’esprit, pendant même qu’il gouverne ce corps, ne se porte tout entier et avec ardeur que vers les choses immuables et qui ne plaisent point par une beauté passagère. Néanmoins, quoique notre âme vous voie en elle-même, et vous voie tel que vous êtes, tel qu’on peut vous aimer sans crainte de vous perdre, nous avouons que nous cherchons et que nous désirons, autant qu’il est permis, votre conversation et votre présence quand vous vous éloignez par le corps, et que les lieux vous séparent de nous. C’est là un défaut que vous aimez en nous, si je vous connais bien, et vous ne voudriez pas que nous en fussions corrigés, vous qui souhaitez toutes les prospérités à ceux qui vous sont chers. Si vous en êtes venu à ce point de force d’esprit que ceci vous paraisse comme un piège tendu à notre faiblesse et que vous vous moquiez de ceux qui s’y trouvent pris, en vérité vous êtes grand et tout autre que nous. Pour moi, quand je regrette un ami absent, je veux bien aussi qu’il me regrette. Cependant je prends garde, autant que je puis, et je m’efforce de ne rien aimer de ce qui peut me quitter malgré moi. Aussi sans rechercher l’état présent de votre esprit, je demande que nous achevions la discussion commencée, si nous avons à cœur nos propres intérêts : je ne la terminerais pas avec Alype, lors même qu’il le voudrait ; mais il ne le veut pas, car il n’est pas homme à insister auprès de moi pour que je cherche à vous enchaîner à nos études, tandis que je ne sais quelle nécessité vous éloigne.
LETTRE III.
AUGUSTIN À NÉBRIDE
1. Je ne sais si c’est une réalité ou un pur effet de votre doux langage ; l’impression a été soudaine, et je n’ai pas assez examiné jusqu’à quel point je devais me fier à vos paroles. Vous demandez ce que ceci veut dire. Que croyez-vous ? Vous avez été près de me persuader, non pas que je fusse heureux, ce qui n’appartient